Difficile d’imaginer un groupe aussi étrange et mystérieux que Domenique Dumont. Leur musique sautillante, légèrement psychédélique, à la douceur aquatique, envahit immédiatement l’espace tout en posant des énigmes : cette voix féminine chante en français mais un français sur lequel le voile des sens est posé. On y distingue des expressions, des mots très jolis, très chauds, qui semblent nous appeler du fond d’un tunnel. Une musique de fond, voilà, c’est ça, une toile qui protège de la lumière, et qui nous empêche de saisir ce qui se passe dans la réalité, qui nous isole.
Il y a bien eu quelques informations : Michel les a vus en concert à Paris, et c’était génial, ils étaient deux, un garçon, une fille, ils sont étrangers, peut-être lettoniens, il était question d’un artiste français qui se cachait… En essayant de joindre le groupe via leur label Antinote, j’avais une seule crainte : pourquoi vouloir enquêter sur Domenique Dumont, étrangement francophone, auteur de deux disques magnifiques Comme ça (2015) et Miniatures de Auto-Rhythm (2018) ? Après tout, le mystère a toujours du bon. Mais je suis trop curieux.
Une sorte de mystère entoure votre groupe, qui êtes-vous donc ?
Nous sommes de Riga, en Lettonie. Fin des années 90, début des années 2000, nous jouions tous les deux dans des groupes grunge, rock, nous étions très jeunes. Anete a une formation musicale. Je faisais mes trucs dans mon coin. On se connaît depuis pas mal d’années. J’ai commencé à composer pour Domenique Dumont vers 2013, quand j’ai eu la chance de jouer sur un vieil orgue des années 70, un Elgam, sur lequel j’ai fait pratiquement toutes les chansons de notre premier EP, Comme ça. J’ai enregistré les autres instruments : basse, guitare, d’autres synthés et j’ai invité Anete à chanter, en partie parce qu’elle pouvait écrire en français, et aussi parce qu’elle a une belle voix. J’ai avancé très lentement sur ces morceaux, c’était juste pour me marrer et pour mes amis. Je voulais m’amuser avec les auditeurs, les tromper en inventant une musique créée par « quelqu’un d’autre ». J’ai publié ces chansons sur internet. Un an après, elles étaient sorties par le label Antinote, à ma grande surprise. Le début de notre aventure française.
On a dit qu’un artiste français, ou un producteur, était impliqué dans l’histoire…
Domenique Dumont est le/la chef d’orchestre. La troisième personne de notre duo. Nous ne nous sommes jamais rencontrés.
Dans la newsletter du célèbre magasin de disques de Glasgow, Monorail, il est écrit que votre musique est d’une certaine façon psychédélique. Je suis d’accord avec cela, mais un psychédélisme qui serait associé à une drogue qui n’existe pas vraiment : bonne pour la santé, gentille, tranquille…
J’aime la comparaison, notre musique comme une drogue, c’est un beau compliment. Elle aurait des vertus relaxantes, ne vous isolerait pas de la réalité, au contraire, elle permettrait de l’accepter, et en vous faisant danser, elle vous permettrait de vous débarrasser de vos douleurs, de vos peines. Cette question me fait aussi penser à l’un de mes amis, qui est un compositeur très talentueux et qui a fait des études universitaires. Il fait des compositions très compliquées. Presque à chaque fois que nous nous rencontrons, nous parlons de musique, évidemment. Il est tout le contraire de moi : il fait de la musique pour l’esprit, en repoussant les émotions et moi, je fais de la musique à partir des émotions, en essayant d’éviter de réfléchir. Bien sûr, la musique peut-être tout à la fois et c’est rafraîchissant d’entendre différentes expériences, différentes approches de temps en temps, mais je suis de ceux qui ont tendance à penser que la musique est le langage du cœur. Quelque chose qui peut remplir l’espace avec un truc spécial. Quelque chose qui vous fait voyager. Quelque chose qui fonctionne comme une drogue, donc, oui, ça peut être une arme en même temps.
Sur internet, quelqu’un m’a aiguillé vers un vieux groupe, Woo, qui a sorti des disques au début des années 80. Il y a une chanson qui s’appelle It’s cosy inside, que je trouve très proche de votre univers.
Bien sûr que je connais ce disque ! Il est génial, merci pour la comparaison ! C’est toujours intrigant de découvrir des artistes qui ont emprunté les mêmes chemins, exploré des formes similaires d’expression (ou en tous les cas qui t’y font penser) des dizaines d’années avant toi.
Avec Langue Pendue, j’essaie de m’intéresser exclusivement à des musiques chantées en français, mais pouvant provenir du monde entier, du Japon, du continent africain, du Canada… Vous avez choisi le français, mais quand je vous ai demandé les paroles pour les publier, vous avez décliné…
Désolé d’être rabat-joie mais on préfère ne pas voir publier nos textes pour ces deux disques, c’est l’idée, on préfère que les gens interprètent ce qu’ils entendent. Les erreurs d’interprétation sont les bienvenues, même. C’est ça qui est réjouissant, c’est ce que nous recherchons ! Peut-être que vous entendrez ce que vous avez envie d’entendre.
En français, on appelle ça le « yaourt » quand on chante des mots ou des expressions de façon aléatoire, juste pour des sonorités. Par exemple beaucoup de groupes français utilisent le yaourt pour faire semblant de chanter en anglais. Je ne dis pas que vous chantez en yaourt, mais pourquoi avez-vous choisi de chanter en français ?
Joli. Je ne connaissais rien au mouvement « yaourt », mais je ne pense pas que la façon dont nous faisons nos textes puisse être considérée comme cela. Je pense que nous utiliserons le français encore dans certaines de nos prochaines chansons. En fait, je nous sens plus proche d’Elizabeth Fraser, dans sa façon d’utiliser le langage, j’adore certains disques des Cocteau Twins. C’est définitivement une de mes principales inspirations.
Quels sont les instruments que vous utilisez en concert, avec quels boîtes à rythmes, quels synthés, quels effets, qu’est-ce qui fait le son de Domenique Dumont ?
Alors, on met du delay (avec un effet d’écho très court) sur tous les instruments, le phaser est aussi un must pour moi et j’utilise un filtre wah wah avec une reverb à ressort et du delay, c’est la crème de la crème. Cette combinaison est presque trop bonne. A chaque fois que je l’utilise, j’essaie de ne pas trop m’y perdre… J’utilise beaucoup de presets rythmiques qu’on trouve sur des Casio bon marché, ou sur des orgues électriques vintage comme celui dont je parlais précédemment. Maintenant j’ai tous les sons dans mon sampler-séquenceur, je les décompose, je les superpose avec d’autres sons de boîtes à rythmes (par exemple la Roland CR-78), et je suis paré. En fait, l’idée derrière Miniatures de Auto Rhythm, notre second disque, c’est de jouer avec un rythme prédéfini classique style bossa nova, cha cha, disco… qui devient l’ossature de la chanson. Sur certains morceaux, les pulsations sont plus présentes, sur d’autres, elles sont plus décomposées, presque transparentes.
Y-a-t-il une différence entre les enregistrements et les concerts, est-ce qu’il y a une volonté de saisir une émotion directe, ou votre son procède d’une reconstruction précise en studio ?
Je pense que je fais toujours de la musique à l’ancienne. Si j’ai besoin d’ajouter un son de basse, je prends ma basse et je l’enregistre. Si je sens que j’ai besoin du son particulier de cet orgue électrique Kawai énorme, alors je vais l’enregistrer et ainsi de suite, mais évidemment, on ne peut emporter tous ces instruments pour les concerts, alors je dois trouver un compromis. Travailler avec des samplers est l’une des solutions. Et j’ai même fabriqué mon propre échantillonneur. C’est aussi gros qu’un paquet de cigarettes. Très léger. J’ai pu sampler chaque note de tous les synthétiseurs que j’ai utilisés, puis j’ai juste connecté un clavier MIDI et j’étais prêt à faire la fête. Très pratique pour voyager, mais pas très fiable. Il m’a lâché en plein milieu d’un concert… Donc oui, faire passer les chansons du studio à la scène est un processus toujours stimulant. Pour l’instant, notre configuration se compose d’instruments comme la guitare et quelques synthés qui sont utilisés pour jouer des parties mélodiques avec des parties enregistrées en boucle. Et on utilise un sampler et une groovebox pour les rythmiques. Bien sûr, notre son live est un peu différent des disques. Peut-être qu’un peu de magie est perdue, mais nous pouvons improviser si nous en avons envie.
Comment avez-vous connu les gens d’Antinote ?
Quentin (alias Zaltan) m’a envoyé un message via Soundcloud et nous avons commencé à échanger. Tout simplement. Je sais qu’il est un digger fou. Par la suite, on a rencontré les autres personnes du label à notre premier concert au Point Ephémère.
Quels sont vos plans pour l’avenir ?
Notre second disque étant sorti, on va mettre l’écriture de côté pour se concentrer sur nos concerts. Mais je sens comme un truc dans l’air, je vais probablement m’enfermer en studio très bientôt (rires).