Un soir de printemps au début du siècle à La Pointe Lafayette (qui ne jouxte pas encore ce qui allait devenir le Point Ephémère), on annonce tardivement que Gruff Rhys des Super Furry Animals passera des disques, on se dit qu’on a rien de mieux à faire. À un moment retentit un riff sabbathien, comme sorti des entrailles de la terre. Passée la surprise, il faut absolument s’enquérir de la chose et outrepasser cette règle fondamentale de ne jamais importuner le DJ. C’est alors que le débonnaire gallois nous montre la pochette d’un disque dont on notera avec soin le nom. Un disque de Dead Meadow. Qu’on finira par ne débusquer qu’à la fin de l’été dans une petite officine spécialisée d’Austin, Texas. On n’avait pas vraiment suivi la carrière du trio de Washington DC depuis l’impeccable Old Growth paru chez Matador en 2007. Renseignement pris, seulement deux albums sont parus dans l’entretemps, alors que leur leader Jason Simon s’exprimait en solo, puis sous le nom de Old Testament. C’est donc sans vraiment de remords que l’on repique au truc aujourd’hui avec la parution de The Nothing They Need, huitième sommation fêtant une presque vingtaine annuités d’activités, en conviant dans le chalet de location la plupart des protagonistes ayant pris la tangente en cours de route (Mark Laughlin, Stephen Mc Carty, Cory Shane). Et que l’on se remémore alors, non sans accablement, pourquoi un groupe aussi pétri de génie n’a jamais dépassé un certain seuil de reconnaissance. En deux titres sous forme d’exemples perfides rappelons, voulez vous, sa charmante puissance de frappe. Premier album éponyme (1999), premier hymne : Sleepy Silver Door, morceau tenu par un riff tellement mortel qu’il nous fera dire (et nous le maintenons à cette heure) que Dead Meadow fut à Black Sabbath ce que Spacemen 3 furent aux Stooges, une dilution sans vergogne, comme un hommage référent agrémenté d’autres sources. S’il fallait ne retenir qu’un acte sur lequel baser toute une carrière, ce serait celui là, et Dead Meadow en sera largement conscient, en l’étirant sur quatorze minutes (Through The Gates of The Sleepy Silver Door) sur l’album Feathers en 2005. Et en clôturant de manière quasi systématique ses concerts avec cette merveille aussi lourde qu’en apesanteur. Autre merveille qu’on a jamais pu oublier, sur l’album Old Growth (2007) : I’m Gone. Lancinante ballade défaitiste, les plaçant plus sur le chemin des Pastels (en armures) que d’un soixantième rogaton d’un stoner rock dont ils ont toujours été un électron libre, loin des dogmes et de la crasse d’un genre qu’on a mis à toutes les sauces, dont certaines bien bien périmées, depuis. Là effleure une vraie tendresse, et un songwriting qui dès lors ne se cache plus nécessairement sous un déluge de guitares lourdes et sales. Ce monstre de romantisme apeuré, s’il ne sortit pas en single, fit quand même l’objet d’un scopitone, et le fait qu’il ne devint pas un tube mondial nous attriste encore à ce jour. Entre ces deux versants de la colline (leur deuxième LP ne s’intitulait pas Howls From The Hills pour rien) on se retombe dans les bras avec un grand sourire, et non sans effusion. The Nothing They Need perce à nouveau à jour cet éclatant secret du rock américain. Entendons-nous bien : au risque de se répéter, stoner, krauteurauque, space rock, et l’invariable désormais saisonnier d’un terme glorieux devenu école souvent médiocre malgré son héritage fantastique : ce fameux « psychédélisme », dont nous sommes régulièrement les témoins bilieux et goguenard du grand n’importe quoi, que l’appellation englobe désormais. Et qui recoupe des gens qui, au milieu des années 90, n’aurait pas hésité un instant à sauter à pieds joints dans la fosse à purin de la « fusion » pour faire carrière. Chez Dead Meadow, il y a une continuité du genre qui, dans la répétition et l’appel à la rêverie, dépasse cet effet de manche et de concours de bite sous forme de multiplication des pédales d’effet. On reste dans l’entre-soi d’un style rodé par les saisons, une volonté toujours complice d’éroder la violence pour en faire sortir un au-delà climatique de toute beauté. Et The Nothing They Need se place bien évidemment en digne successeur des transports passés, du brouillard bruyant de Keep Your Head en ouverture, à la quasi ballade champêtre I’m So Glad (et nous donc…). Sans oublier The Light et sa tendresse contrariée (un No Quarter de Led Zeppelin dont on aurait, à raison, gommé les circonvolutions Heroic Fantasy) pour finir sur le languissant et ambitieux Unsettled Dust, tout reste ici d’une adresse admirable, d’une hypnose apaisée, d’une fascination totale.
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