La vie de Max Clarke aurait pu prendre une tournure tout à fait différente : c’est en terminant ses études d’illustration à Chicago que l’américain, prêt à embrasser la carrière de graphiste qui l’attend, réalise que son passe-temps, l’écriture de chansons, est bien tout ce qui ne s’apparentera jamais pour lui à du travail. Après Alien Sunset, recueil de six balades au charme brut et hors du temps révélé l’année dernière, Hollow Ground, paru en mai sur Jagjaguwar, confirme le talent d’un fin mélodiste qui ne s’est, pour sûr, pas trompé de voie. Un premier album plus sophistiqué mais toujours aussi élégant, entre folk psychédélique et pop baroque, que l’américain présente sur scène avec de musiciens de choix, échappés le temps d’un été des joyeuses bandes de Woods et de Quilt. Quelques minutes avant leur représentation à La Route du Rock, c’est avec un peu de difficulté, le regard fixé au sol, que l’artiste introverti a accepté de s’ouvrir le temps d’un court entretien sur son succès inattendu, la poésie et la mélancolie qui l’habite.
Tu as révélé tes premières chansons en octobre dernier puis tu as sorti ton album, Hollow Ground, quelques mois plus tard. Tu t’es finalement fait connaître très vite. Comment cela s’est-il passé ?
Je fais de la musique depuis un moment. J’ai commencé la guitare quand j’avais 12 ou 13 ans, puis je me suis mis à écrire des chansons peu de temps après. J’ai joué dans quelques groupes et j’ai lancé mon projet personnel il y a presque six ans maintenant, quand je vivais à Chicago. Ma copine et moi avons déménagé à New York, New York City, j’y ai joué mes premiers concerts et à partir de là, les choses sont arrivées très vite. Beaucoup plus vite que ce à quoi je m’attendais… Je ne m’attendais à rien, en fait. J’ai soudainement rencontré tous ces gens ; ils étaient emballés par la musique que je sortais, par les démos que j’avais faites, et c’était pour moi très grisant ! Cela fait du bien de se sentir « validé ». Je n’avais jamais vraiment ressenti cela auparavant.
Il est rare de voir sortir de New York des groupes comme Cut Worms, influencés par les sixties et la surf pop, encore aujourd’hui plutôt ancrée sur la côte Ouest. Y a-t-il des groupes à New York dont tu te sens proche musicalement ?
Quand j’ai déménagé là-bas, je ne connaissais absolument aucun groupe local. Il ne s’agissait pas pour moi d’essayer d’intégrer une certaine scène ; j’ignorais à peu près tout de l’actualité musicale. Je marchais en solitaire, je faisais mon truc. La décision de déménager à New York n’avait pas grand chose à voir avec la musique. Enfin si, peut-être un peu… Je n’attendais rien mais quelque part dans mon esprit, je me disais… J’ai toujours voulu vivre à New York et tu sais, parfois des choses arrivent quand les gens déménagent à New York.
Une fois là-bas, as-tu continué à travailler seul, comme tu le faisais à Chicago, ou t’es-tu entouré de musiciens, notamment pour enregistrer Hollow Ground ?
J’ai joué la plupart des instruments sur l’album, sauf la batterie que je ne maîtrise pas. J’avais avec moi Jonathan Rado [ndlr : moitié du duo californien Foxygen], qui s’est occupé des percussions sur une grande partie de l’album. Quand je suis arrivé à New-York, il y avait aussi un ami avec qui je jouais beaucoup, David Christian. Nous avons ré-enregistré certaines de mes chansons ensemble, et il a joué dessus. Voilà mon groupe de l’époque : John, Dave, puis mon ami Kyle Avallone et « Catfish », qui joue de la pedal steel. Kyle et lui n’ont joué que sur une chanson. Sinon, j’ai assuré quasiment toutes les voix, guitares et claviers.
Un jour, un ami m’a envoyé un lien vers Alien Sunset et durant les premières minutes, j’ai pensé que cet enregistrement sortait des années 1960 ! Est-ce que tu cultives ce son-là ?
J’imagine que ce n’est pas intentionnel, non. Je n’ai pas essayé de faire en sorte que ma musique sonne ainsi. J’espère d’ailleurs que ce n’est pas que ça ; j’aime me dire que ce que je fais est tout de même un peu moderne [rires]. J’écoute et j’aime énormément la musique de cette époque, des années 1960 et 1950, alors j’essaie simplement de faire de la musique que je pourrais moi-même apprécier. Voilà le résultat.
Quels artistes de ces décennies-là t’inspirent le plus ?
J’aime les Beatles, Bob Dylan. Les Kinks, les Zombies et beaucoup de groupe anglais, mais j’aime aussi énormément la musique française de cette époque : Serge Gainsbourg, Françoise Hardy…
Les paroles occupent une place très importante dans tes chansons. As-tu des auteurs ou des poètes phares ?
J’écoute beaucoup de musique du 20ème siècle dans son ensemble, c’est à dire des premiers enregistrements de folk, de blues et de country, aux trucs des années 1980 et 1990, et je remarque que les morceaux que j’aime sont toujours ceux qui racontent, d’une manière ou d’une autre, une histoire. Je lis aussi beaucoup de livres. J’ai nommé ce groupe d’après un proverbe issu d’une œuvre de William Blake [ndlr : “The cut worm forgives the plough”]. Je crois que je n’avais pas réalisé que cela pourrait me faire passer pour un expert en poésie — car vraiment, ce n’est pas ce que je suis. Il y a des choses que j’ai lues et adorées, mais je ne m’y connais pas tant que cela. J’aime effectivement William Blake et Arthur Rimbaud, ou des poètes que j’ai découverts à l’école comme T. S. Eliot, mais je pense être plus influencé par les romans que j’ai lus que par la poésie. J’aime attraper un livre de poésie dans l’étagère une fois de temps en temps, mais pour une raison que j’ignore, il faut pour cela que je me trouve dans un certain état d’esprit. C’est généralement la nuit, très tard, quand il n’y a rien autour, aucune distraction. Là, je peux lire de la poésie. En fait, je ne sais jamais si je comprends vraiment ce que voulaient dire les poètes, surtout quand les textes datent du 18ème ou du 17ème siècle. Je n’ai pas tous les éléments de contexte mais du moment que je tire quelque chose de ma lecture, alors je me dis que cela valait le coup.
Une dernière question… Il y a ce livre que j’aime beaucoup, Haute Fidélité de Nick Hornby. En écoutant ta musique, j’ai pensé à ce passage : « Quelle fut la cause, et quel l’effet ? La musique ou le malheur ? Est-ce que je me suis mis à écouter de la musique parce que j’étais malheureux ? Ou étais-je malheureux parce que j’écoutais de la musique ? Tous ces disques, ça ne peut pas rendre neurasthénique ? » Quelle fut la cause, et quel l’effet selon toi ?
Pas mal [rires]. Est-ce que c’est le livre dont ils ont fait un film ? Je n’ai jamais lu le livre, mais je connais le film [ndlr : High Fidelity de Stephen Frears, 2000]. En fait, même à l’époque ou j’étais tout juste en âge de penser et d’écouter de la musique, j’ai toujours été submergé par les balades et ce que l’on appellerait des chansons tristes. Alors oui, peut-être que la mélancolie était là avant. J’ai fait quelques interviews où les gens pensaient que cette mélancolie dans ma musique était très limpide, qu’elle pouvait s’expliquer par une rupture ou que sais-je. Ce n’est pas le cas, et jamais je n’écris mes chansons de cette manière, en partant de faits directs de la vie. J’imagine que la mélancolie est simplement là, en moi.
Cut Worms se produira ce samedi 1er septembre à La Machine du Moulin Rouge dans le cadre du Paris International Festival of Psychedelic Music.