Comme beaucoup, j’ai fondu sur mon canapé. Comme peu, j’ai finalement aimé ces fortes chaleurs qui m’ont assommé au point de dormir comme un saluki ou un fennec victorieux (et viva l’Algérie). Mes périodes d’endormissement m’ont comme toujours porté conseil sur quelques disques qui ont défilé sur mes platines, CD et vinyle, dans la moiteur de l’été. J’ai craqué sur le CDrom (sic) des démos (re-sic) de Danse Avec Les Shlags (autoproduction), projet d’Antonio Beltran, juif et mexicain – et « enculé de parisien », notamment dans Le Villejuif Underground, c’est lui qui le dit. Aperçu trop brièvement au Diamant d’or, à Strasbourg, le jeune homme déroule une variété bancale, fait de bric (des paroles légères et amusantes) et de broc (un vieux synthé Yamaha), dont émane des parfums de drogues douces et des fragrances de squat. C’est l’état que je préfère de notre chanson française, directe, un peu frime, un peu déprimée : avec quelques mélodies inoubliables (Wagon Bar, C25), assez pour nous faire espérer une suite, que ce soit pour de vrai en studio, en concert aussi, où la belle présence de ce jeune homme à moustache (et au mulet naissant) apaise.
Les années 80, Joseph Fisher les a évoquées il y a quelques temps sur les réseaux : quand on les a vécues, on ne peut plus guère les fantasmer. C’est pourtant celles-ci que Vidal Benjamin, digger, choisit à nouveau d’écumer avec Pop Sympathie (Versatile) : quinze chansons qui composent un hit parade alternatif (comme, avant lui, les volumes France Chébran parus chez Born Bad ou les cassettes Quartier Choc et Quartier Chic de Zaltan) et nous rabattent dans des boîtes de nuit, le Cocoon de Belfort ou le Chalet de Strasbourg, au hasard, celles-là mêmes que nous voulions fuir définitivement à l’adolescence. Le puits semble se tarir et commence à diffuser une odeur fortement sucré de Feu Orange, ce désodorisant pour bagnole qui tournait la tête : et pourtant, la magie finit par opérer, avec la 10 (Fabienne Stoko), la 11 (Anne Lorric), la 12 (Yogo) et la 13 (Arielle Angelfred), et son enchaînement de jeunes femmes un peu lolita, un peu diva, un peu gaga. A noter que le disque sonne magnifiquement, avec un mastering soigné et homogène (signé I:Cube) : ces chansons ont-elles jamais sonné aussi bien ?
Tant qu’à voyager dans le temps, autant faire le grand saut. C’est à l’invitation d’un très beau 25 cm, Alex Barbier chante… édité par Vert Pituite La Belle, qu’on se retrouve au beau milieu du XXe siècle (un bail), pour un hommage émouvant à Alex Barbier, artiste polymorphe, disparu en début d’année. Cet homme de goût (affublé d’une perruque, c’était important) reprend des chansons du répertoire dit réaliste, accompagné discrètement par le rocker du Canigou, Pascal Comelade. Fréhel, Damia, Lucienne (Delyle), Georgette (Kerlor) ont interprété avant lui ces chansons qui nous rappellent certaines origines de la pop : des chansons de la rue interprétées par des dames de la rue. Âmes sensibles, ne passez pas votre chemin.
Shay, notre première dame R’n’B, pourrait revendiquer une filiation avec ces grandes dames du siècle dernier, par cette façon qu’elle a de s’afficher à la fois comme un objet plastique insensé, comme une personnalité éprise de liberté, comme une artiste exploratrice. Son chemin, difficile, doit être respecté : surtout quand elle balance les petites bombes fuselées de son Antidote : Même pas bonne, Pleurer et BXL… Avec Shay, la jeune génération est en feu : Niska, de l’Essonne, rend fou avec son simple, proche de la syncope, De lundi à lundi tandis que PLL (à une lettre près…) avec Abdoul et DJ Sebb (producteur, DJ, compositeur…), de La Réunion, nous envoie Trottinette, banger tout frais, prêt à conquérir le monde.
De cette même Réunion, on commence à bien connaître aussi le patrimoine : après les labels suisse (Bongo Joe) et anglais (Strut), c’est InFine qui se plie à l’exercice d’histoire contemporaine. Il s’agit, avec Sophian Fanen (Les Jours), journaliste d’investigation, de raconter les mutations du Maloya (folk du terroir éminemment politique et résistant) au contact des musiques électroniques, avec toujours ce but ultime : la transe. C’est Digital Kabar, qui met en perspective une quinzaine de plages étalées des années 80 aux années 2010, sur lesquelles soufflent courants d’air chaud (Timbila de Boggsbrown) et vents glacés (Batbaté Maloya, de Jako Maron ou 303 Militan de Psychorigid). Avis de cyclone.
De folklore, il est encore question avec Léonore Boulanger (on vous en avait déjà parlé ici) et son nouvel album Practice Chanter : une musique déconstruite et déroutante, sur laquelle on collerait bien ce sticker « attention : free jazz ». C’est vrai que « ça joue » sur les disques du label La Saule, mais au sens premier du terme. On a parfois du mal à s’y poser, tisane de chanvre et sablé au beurre en main. Mais le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce que pour goûter à des merveilles d’horlogerie comme Le nouveau et son plein de rythmiques qui donnent le tournis. Le sticker finalement, ça serait plutôt : « bienvenue à tous, chanson délivrée. »