Il y a quelques mois mon cher papa me raconte au téléphone qu’il a retrouvé dans ses archives des photos rares du fameux concert des Stones au Forest National de Bruxelles d’octobre 1973 — mi blagueuse, mi sérieuse, je lui dis : « chiche de nous écrire un article ! » Entre temps, des confinements et des mesures gouvernementales à géométrie variable bouleversent le fil du temps et retardent la publication de ce billet d’humeur… mais voilà que l’actualité nous rattrape et emporte sans crier gare Charlie Watts, « le génie du toujours un peu avant ou un peu après » (Étienne Greib dixit). On peut l’apercevoir ici nuque longue toute seventies et sourire complice dirigé vers Jagger, ce souvenir photographique suspendu à l’éternité en guise d’hommage à lui et à toutes celles et ceux dont les oreilles ont un jour vibré au son de sa rythmique rien qu’à lui.
Il est six heures du matin ce mercredi 17 octobre 1973. Le ciel est bleu, la température clémente, Bourges s’offre un retour d’été façon indienne. Je descends le boulevard Juranville vers la gare où m’attendent Marc et Régine pour prendre le train de 6 h 32 vers Paris. Ce train que les Berruyers connaissent sous le nom de Train Boisdé, du nom de leur actuel député-maire depuis 1959, est le seul rapide permettant d’atteindre la capitale en moins de deux heures depuis la capitale du Haut Berry. Pompidou est toujours président mais il n’a pas réussi à se défaire de l’état UDR. Raymond Marcellin, Ministre de l’intérieur de sinistre mémoire a interdit de séjour les Rolling Stones en France, depuis Exile on Main Street et l’affaire de la villa Nellcôte louée par Keith Richards à Villefranche-sur-Mer dans le sud de la France. Toujours prête à organiser les bons coups, la Radio RTL a affrété un train spécial pour Bruxelles où le groupe donnera deux concerts pour les fans français.
Les événements se précipitent dès 6 h 32. Mes amis sont absents et le sifflet du contrôleur m’incite furieusement à monter dans un wagon. Heureusement, je dois retrouver Félicien, dit Nar’s, à la gare des Aubrais.
À la Gare du Nord, l’ambiance est chaude, des cohortes de CRS encadrent les fans en folie. Dans la bande à Nar’s, Philippe et l’affreux Jean-Charles veulent en découdre. Je préfère me trouver une place dans un autre compartiment. Dans le train flotte une odeur doucereuse et une fumée non moins doucereuse. Les fans paraissent fatigués avant la bataille.
Bruxelles enfin. Des bus nous emmènent vers Forest et sa salle de concert devant laquelle nous attend une brigade de policiers à cheval. Je suis à la place 4298. La tension est palpable. Je ne crois pas que les Stones vont jouer. Le temps passe et c’est déjà le début de la prestation de Billy Preston. Très vite une rumeur monte d’on ne sait où, le guitariste à la coupe afro derrière le groupe serait Mick Taylor lui-même. Une information confirmée par la suite.
Enfin les Stones. Je ne me souviens plus qui a dit « On mesure la présence d’un groupe et de sa musique si le spectateur qui les voit du fond de la salle, pas plus grand qu’un morceau de sucre, est envouté par les musiciens ». C’est tout à fait ce que j’ai ressenti dans ce concert que je place en tête de mes concerts favoris. Grateful Dead, Roxy Music, Dr Feelgood, Kevin Ayers, Nico, Little Bob Story, Bijou, Starshooter, Magma. Je pense à cette phrase en voyant surgir Mick de derrière la scène alors que, Charlie Watts d’abord puis Bill Wyman et Mick Taylor et enfin Keith Richards sont entrés sur scène sans que je m’en aperçoive. La sono est parfaite et la musique nous envahit jusqu’à la fin du concert.
Je garde peu de souvenirs du détail des chansons jouées. Je me rappelle très bien de Dancing with Mister D et de Starfucker, qui ne sont pas leurs meilleures, mais aussi de Angie, Midnight Rambler et Happy. Je crois qu’ils ont joué You can’t always get what you want, mais pas sûr…
Je reviens à Paris les yeux pleins d’étoiles. À la sortie, je tombe sur Gérard le batteur des Dandelions, un groupe de Bourges, et son pote Bébert un addict des Stones, auteur des photos. La légende raconte que Bébert était tellement excité qu’il a oublié de rembobiner le film avant d’ouvrir son appareil, ce qui explique le voile sur l’ensemble du film et le fait qu’il n’a pu sauver que 25 clichés sur les 36 poses de la pellicule. Sacré Bébert. Jusqu’à sa mort, il a joué les Jagger berrichon avec le groupe Silver Train.
Je viens de découvrir que depuis 2011 on peut accéder à l’enregistrement du concert avec l’album Brussels affair. Ma prochaine acquisition.
It’s only rock’n’roll but I like it. Yes I do !
— Denis Nuñez