Il n’est évidemment pas question d’oiseaux dans Birds in cages, la troisième chanson de Vive la différence !, petit chef-d’œuvre publié par les Suédois Eggstone au cœur de l’hiver 1997. Comme c’est souvent le cas en matière de musique pop, du Single pigeon de Paul McCartney au Courage des oiseaux de Dominique A, au hasard, ils ne servent ici qu’à évoquer ce qui volait et ne vole plus, ce qui chantait et ne chante plus, ce qui vivait et ne vit plus. C’est-à-dire, encore et toujours, à parler d’amour, cette petite chose de plumes et d’ailes qui disparaît au moment où l’on pose le regard sur elle.
Pour ne pas qu’elle lui échappe, le chanteur Per Sunding s’imagine donc la garder dans une cage, près des yeux, et tout près du cœur. Une prison où, suprême ironie, c’est lui qui sifflerait à l’oiseau ses mélodies pleines de sel et d’eau. Celle de Birds in cages, douloureuse, se déploie après une brève introduction qui permet au batteur Maurits Carlsson d’imprimer à la chanson sa cadence de valse à cloche-pied, à petits coups de baguette sur sa cymbale charleston. La fragile mécanique pop est lancée, chancelante, et tandis que les accords du piano, tels des passereaux de bois clair, se mettent à picorer la mesure de ce qui se révèle vite être un doo-wop blanc-bleu comme la banquise, Per Sunding peut alors égrener, d’une voix lasse et rêveuse, les pensées que fait naître le drame qui l’habite – elle est partie, comme souvent dans les chansons d’Eggstone, implacables précis de rendez-vous ratés avec le destin et de sentiments qui se refusent. Et inviter toutes les forces de la nature, canines, astrales, à venir meurtrir son corps dans un jeu de « pince-moi-je-rêve » sadique et auto-mutilatoire, pendant qu’à l’abri des barreaux de la cage, son cœur balance comme une feuille refusant de tomber de son arbre l’automne venue. C’est là, juste après le premier couplet, que tout bascule. Que la machine pop déraille, que la cymbale hésite imperceptiblement, le temps d’un battement d’aile, et que les « maybe » de Per Sunding, suspendus à la rythmique, plongent dans un abîme vaste et profond comme la nuit. Un gouffre qui finit par engloutir toute la chanson, et dont l’ombre d’incertitudes dévore tout l’album, toute la vie.
Il n’était évidemment pas question d’oiseau, pas plus que de locomotive, dans Elle serait là, si lourde, le poème de Boris Vian que j’ai un jour récité, fébrile et nigaud, devant ma classe de CM2. Il y était question de guerre, de ce qui avait roulé et ne roulait plus, mais surtout de ce qui avait volé et volait encore. Il y était, comme chez Eggstone, Paul McCartney et Dominique A, question d’amour. Je n’ai gardé du texte qu’un frêle souvenir, à vrai dire pas plus lourd qu’un rouge-gorge, mais je me rappelle très clairement qu’à l’injonction du poète, j’avais, comme Per Sunding des années plus tard et quitte à mourir écrasé de chaleur et de solitude dans un désert de cendres, préféré l’oiseau à la perfection mécanique.