Le troisième album du trio de Bristol emmené par Geoff Barrow (Portishead) ‒ accompagné de Billy Fuller et Will Young ‒ , frappe avant tout à sa première écoute par le caractère obsessionnel d’une esthétique : comme dans > (2009) et >> (2012), c’est le sillon Motorik qui est ici creusé inlassablement. Une ligne Can / Neu ! / LA Dusseldorf dont l’ossature est bien cette rythmique répétitive et hypnotique que l’on peut retrouver comme motif emblématique dans Brean Down, premier single issu de >>>.
Aussi, nous sommes à priori en terrain connu : c’est à la présence spectrale de Conny Plank / Michael Rother / Klaus Dinger / Holger Czukay que nous avons affaire, faisant office de territoire à explorer à partir d’un cadre qui s’assume comme invariant. Mais, et ceci s’impose au fur et à mesure de la découverte de ce nouveau disque, tout semble se jouer dans le même temps au niveau d’une subtile pratique de l’écart et du décalage, comme peuvent en témoigner Allé sauvage ou King Of The Castle, deux titres qui marquent par une certaine prise de distance avec la raideur toute claustrophobe des deux premiers albums. Une manière de rejouer une autre dimension de la matrice kraut, qui tendrait plus en direction de l’amplitude et de la transe psyché ‒ que le terme Kosmische Musik exprime plus précisément. De fait, boucles, arpégiateurs et nappes viennent ici décentrer ce qui auparavant se déployait avec une économie de moyens revendiquée, pour en quelque sorte rejouer rétrospectivement ce qui, de Tangerine Dream au passage Cluster – Harmonia, en passant par le Can de Future Days par exemple, a pu emprunter une autre voie que le minimalisme proto-punk. Ceci tout en se gardant cependant de toute incursion dans ces sphères trop planantes et trippées, pour à certains moments de >>> comme Rsi tendre en direction de ce qui s’est élaboré à l’orée des 80’s avec DAF et leur növö-disko EBM. Pour le dire autrement, il nous semble bien que se joue ici un autre rapport au référent psychédélique qui aboutit à une forme de syncrétisme reconfigurant tout ce qu’un certaine veine pop « expérimentale » typique des 70’s a eu de crucial ‒ de Eno au Bowie berlinois, ou encore les diverses entreprises électroniques et free. Mais c’est aussi et surtout par une pratique véritablement épanouie du songwriting que le dernier Beak> impressionne le plus : Harvester et When we fall, véritables pivots de l’album, font découvrir une autre facette du trio, celui de la ballade et de ses incursions pop aux arrangements plus foisonnants, si l’on peut dire. Une manière de clôturer magnifiquement un cycle et d’ouvrir sur d’autres horizons, tout en assumant ce minimalisme caractéristique d’une des entreprises musicales les plus passionnantes de ces dernières années.