Il est un nom qui ne cesse de résonner ces dernières années dans l’underground londonien : Dean Blunt. Musicien hybride aux influences rock et hip hop, producteur prolifique légitimé par des albums unanimement acclamés (notamment Black Metal, en 2014) et des collaborations au sommet (avec A$AP Rocky sur Testing, en 2018), il est aussi à la tête de World Music, un label autour duquel gravitent d’autres noms plus énigmatiques, souvent découverts en featuring des propres titres de Blunt. Parmi eux, Joanne Robertson, Inga Copeland mais aussi NINA, entendue récemment sur le mélancolique single Slur ; alias de Nina Cristante, membre avec Jezmi Tarik Fehmi et Samuel Fenton – issus du duo grunge Double Virgo – de Bar Italia, groupe couvé par World Music depuis maintenant trois ans et deux albums (Quarrel en 2020 et Bedhead en 2021). Des connexions loin d’être anecdotiques, qui s’entendent plus que jamais sur Tracey Denim, le troisième album du trio ; le premier chez les légendaires Matador Records.
Tout ce que nous savons de cet album, c’est qu’il a été enregistré et produit par le groupe, puis mixé par Marta Salogni (Black Midi, The Orielles, Toy…). Aucun commentaire ni aucune interview ne sont accordés. Bar Italia entretient un certain mystère autour du projet, ne se révèle qu’au travers de sa musique, elle très intimiste, tant au niveau des arrangements que des textes. Les trois voix se succèdent ou s’allient, dialoguent souvent de manière triviale, comme elles échangeraient des messages téléphoniques : « You called me on a bad day » (Clark), « I called you up and you don’t pick up » (Harpee), « Call me back tonight » (Friends). Les respirations sont volontairement présentes, les émotions particulièrement débordantes dans le chant éssoufflé de Nina Cristante.
Une chanteuse à la voix limitée mais assurée et c’est en fait ici tout ce qui compte. Sur NOCD, elle semble énoncer les mots au fil de sa pensée, sans se soucier d’une quelconque beauté de la phrase. L’instrumentation, toujours minimaliste et répétitive, va aussi au plus simple. Une forme de pauvreté évocatrice de l’arte povera, ce mouvement artistique italien – originaire, comme Nina Cristante, de Rome – pour lequel l’œuvre en elle-même compte moins que son geste créateur, que sa diffusion, que la manière dont elle est reçue. Une attitude punk, souvent marque d’artistes prolifiques, à l’instar de Dean Blunt, mais aussi – parce qu’ils semblent très présents dans cet album, comme sur Yes I have eaten… pour le premier, H.O.B. pour le second – de Jason Albertini (Duster, Helvetia) ou d’Anton Newcombe (Brian Jonestown Massacre), dont l’obsession est de libérer au maximum sa créativité – au risque de se répéter.
Une spontanéité affichée qui contribue à l’image nonchalante et branchée du groupe, mais qui leur permet aussi, en allant à l’essentiel, de révéler une esthétique musicale claire et de nous ramener au coeur de nos fondations musicales : « Vous aimez le son des nineties ; Sonic Youth vous manque ? En 2023, ça sonne comme ça. » semblent-ils affirmer. Les titres ne sont pas tous aussi efficaces les uns que les autres, particulièrement dans le dernier tiers de l’album, mais – nous l’aurons compris –, c’est une histoire d’atmosphère et d’esthétisme, pas de chansons. « A mask covered your eyes and you move like crazy to your favorite song / you said « I’m coming alive », haven’t felt this way since you were 21″ (Nurse!) ; Bar Italia finalement, c’est cette énergie-là.