Ce n’est plus de la musique, mais la matière même des émotions, un écho permanent de ce qui se passe en nous – et en lui, et la façon dont tout cela se répond, avec les années de distance, le disque qui tourne dans la pièce et la manière sans concession de créer en musique, voix et violoncelle et échos à bande, une entité qui relève de l’abysse totale, comme si un tourbillon entraînait au plus profond des sentiments un mélange fragile de mélodies et d’harmonies, de réverbérations nocturnes, de paroles qui disent un amour, une relation, relatent des scènes de vie où le banal côtoie la jalousie côtoie la timidité côtoie l’impossible côtoie la gêne côtoie l’émerveillement côtoie la joie côtoie l’allégresse élégiaque d’un instant vite tu vite disparu.
C’est tout cela et plus encore : cet album, fait de chutes et d’inédits, date du même moment que World of Echo, chef d’œuvre crépusculaire d’Arthur Russell qui ne peut s’écouter que seul et exige la solitude absolue pour être avec vous. Moins fourni, de prime abord que World of Echo, il est pourtant tout aussi abouti, beau, délicat, hypnotique et assemblé dans cette même toile qu’Arthur Russell maîtrisait tant et s’équilibrait en lui entre l’écriture assurée et l’improvisation totale. Ça ressemble aux prises d’un moment, comme en absence de soi, en digression depuis un point de douleur, vers un pont de sentiments blessés. Morceaux instrumentaux, chansons, réminiscences d’autres disques et moments d’Arthur Russell toutes ces chansons disent un élan de lui à son amour, disent que l’amour est d’une timidité crasse et que parfois une chanson ne suffit pas à dire, à provoquer. Que l’on peut demeurer amoureuse sans savoir le dire. Comment ça se dit, d’ailleurs ? Une chanson, souvent, c’est un paravent, un crève-cœur, une impossibilité. Ce n’est que cela ici : le compte rendu des impossibilités amoureuses. Mais à ce niveau de beauté, l’impossible est le plus élevé de nos sentiments. Il suffit de le dire – de le chanter, surtout, sans doute.
