Quand Aldous Harding mentionne le besoin d’un tatouage dans Pilot, l’avant-dernière chanson de son nouvel album Designer, c’est afin de se cacher, de se procurer un abri. L’envie est forte de lui faire parvenir une carte postale rassurante au dos de laquelle serait écrit : « Vous n’avez besoin d’aucun tatouage pour vous dissimuler, votre disque suffit. Bien amicalement. »
On avait fréquenté la Néo-Zélandaise il y a deux ans grâce à Party, disque suffisamment émietté et habité – contrastes, bruits, respirations –, suffisamment bizarre et fragile pour le laisser s’insinuer durablement. Il y avait alors de l’âme à vendre au plus offrant, j’entends par là à quelque démon interlope, sorcier de petite vertu ou poète, le genre magique – l’auditeur. Une transaction honnête, loin de tout public : de l’une à l’autre, de la bouche au cœur, sans tics de langage, se laisser transformer par des chansons.
Restait le souvenir agréable de tours surprenants.
On ne se sent pas trahi avec Designer, puisque on évite la redite d’une formule, mais légèrement indisposé. Les écoutes ne sont pas désagréables, on a parmi les nouveautés des mid-tempos avec les obligatoires grooves élastiques, petites percussions, basses en palm-mute et filets plats, des timbres attendus – anches de sortie –, de fausses introductions, des tristeries épurées. Tout est très bien fait et très bien organisé. Les chansons sont bien conçues, on ne risque pas de se faire mal, au pire de se piquer le bout d’un doigt, guère plus. Aucune mâchoire ne risque de s’abattre violemment sur la jugulaire au détour d’un pont, d’un couplet, d’un refrain, d’un arrangement, non, vraiment, on ne risque rien.
On ne risque pas le silence.
On ne risque pas le cri.
On se sent en sécurité avec un cahier des charges si bien rempli.
On peut, à la rigueur, s’ennuyer.
L’inspiration de Harding n’est pas assez grande ici pour résister à tout le savoir-faire employé. On pense à Andy Shauf qui, dans un exercice similaire, boxe dans une catégorie supérieure qu’on ne souhaite par ailleurs à personne de fréquenter, tant elle se situe à la lisière de la folie. Shauf obsessionnel transpire le danger, Harding non, ce qui est dommage pour nous et pas pour elle.
Son disque n’est pas désagréable, et il accompagnera parfaitement le temps d’un été vos soirées ou vos petits déjeuners. Je l’écouterai sans doute encore quelques fois les fenêtres ouvertes ou dans le jardin d’un ami, bière ou mojito aux portes des lèvres, je danserai sans doute en festival sur l’une de ses chansons, puis je le laisserai lentement devenir un souvenir ténu, l’un de ceux qui témoignent que le monde peut rester absolument immobile si l’on décide de ne rien y bouger, ou de ne rien y vivre.