Fondé à Sheffield en 2012, le label Central Processing Unit Records (CPUR) s’inscrit explicitement dans le sillage d’une filiation glorieuse. Celle qui, avec Warp et ses productions bleep techno et proto-IDM du début des 90’s, a pu poser les bases d’un son typiquement britannique rejouant à sa manière ce qui a été élaboré du côté de Detroit et Chicago. Et ceci est particulièrement évident si l’on parcourt le catalogue de CPUR : de DMX Krew à Microlith ou Bochum Welt, c’est bien un parti pris esthétique cohérent qui se dessine. Comme si LFO période Frequencies (1991), B12 ou Sweet Exorcist rencontraient l’électro US canal historique (de Cybotron à Drexciya). Et leurs deux premières sorties de l’année 2020, Aluminia de Tryphème et Addenda de Calum Gunn, ne dérogent pas à cette règle, toute entière vouée au culte des séquenceurs, synthés et boîtes à rythmes Roland ou Korg.
Avec Aluminia de Tryphème, c’est du côté le plus aventureux des premières tentatives IDM que nous nous situons. La productrice française Tiphaine Belin déploie une électro qui rappelle certaines références du label Rephlex (µ-Ziq en tête), mais aussi l’aisance harmonique et planante des Selected Ambient Works d’Aphex Twin ou des albums de Boards of Canada. C’est le cas tout particulièrement sur EEDYU ou In a Cyber Spiral, magnifiques dérives mélodiques dignes de Music Has the Right to Children (1998) ou de Tango N’Vectif (1993). Un disque qui impressionne par l’aisance avec laquelle il investit un genre pour en re-orchestrer les items d’une manière vraiment personnelle. Nous sommes ici loin de la seule pratique du clin d’œil référencé ou du revival érudit, pour voir tout au contraire Tryphème déployer ses productions dans des territoires encore vierges. L’usage des voix notamment, en constitue l’un de ses signes distinctifs les plus remarquables. Et c’est le cas aussi de l’EP de l’écossais Calum Gunn : investir les éléments incontournables d’un genre, pour mieux en déconstruire le modèle. On pense ici à certaines propositions d’Autechre pour leur austérité, ou encore à ce que ces derniers ont pu produire sous le nom de Gescom. La ligne IDM croisant la raideur indus et l’abstraction d’une certaine avant-garde électronique, mais sans quitter les rives de ce funk robotique si caractéristique des productions typiques de Detroit (Dopplereffekt, Ectomorph). Un disque qui opère donc en terrain connu, tout en jouant de manière subtile sur une série de décalages : Moebu ou Ternenmarz par exemple, allient rigueur rythmique et aléatoire « glitché », tout en visant subtilement certains horizons moins balisés. Une manière surtout de contourner certaines frontières trop solidement établies de ce côté-ci de la Manche : contrairement à ce qu’une certaine réception critique a pu laisser entendre, l’IDM s’est moins affirmée comme rupture avec la scène rave, que comme sa poursuite ludique et décomplexée. De quoi redonner vie à un genre que l’on avait peut-être eu trop tendance à réduire à un âge d’or aujourd’hui révolu. Mais qui, comme nous le montrent Tryphème et Calum Gunn, peut encore se révéler passionnant.