Dans un entretien (pour la revue « L’Art Vivant », en mai 1972) avec le musicologue et critique Daniel Caux, La Monte Young a pu définir en ces termes cette pratique singulière du sonore que constitue le drone : “[…] Comment cette expérience m’avait conduit à entrer à l’intérieur du son et comment, une fois entré dans le monde du son, je pouvais me demander comment ce serait si je devais me trouver en dehors.” Une manière particulièrement condensée de rendre compte d’une esthétique devenue incontournable pour la pop contemporaine depuis les années 2000, imposant le canon minimaliste-répétitif comme décisif pour toute une descendance post- ou néo-psyché, kraut ou noise-expé. Ceci par la façon dont ont été réinvesties certaines modalités des “grandes” œuvres pionnières du genre : répétition, phasing, son tenu longuement et autres boucles constituent les éléments caractéristiques d’une démarche visant le primat de l’expérience de la durée, du processus et du flux. Une expérience en effet fondamentale pour un grand nombre de musiciens aujourd’hui : pensons à Jim O’Rourke, Stephen O’Malley, Keith Fullerton Whitman ou encore à Dominick Fernow, alias Prurient.
Aussi, c’est logiquement du côté du maître new-yorkais que cette jeune garde s’est tournée lorsque s’est imposée la volonté de perturber les schémas pop traditionnels. La Monte Young, une référence cardinale pour Sonic Boom (Spacemen 3, Spectrum) et Etienne Jaumet (The Married Monk, Zombie Zombie) – soit deux représentants de la filiation psyché-Motorik. Ici complété par Céline Wadier (spécialiste du chant indien Dhrupad et de la tambura), le trio a imaginé cet hommage – immortalisé lors d’un concert lisboète en septembre 2017 et lors du dernier festival BBmix quelques mois plus tard – en réinvestissant les grandes options esthétiques du compositeur : explorations basées sur le statisme, expérimentations électroniques analogiques, réappropriation du râga indien (la collaboration avec Pandit Pran Nath à partir de la fin des années 1960)…
C’est fondamentalement une même idée, obsessionnelle, qui traverse le travail de La Monte Young et se trouve ici mobilisée à nouveaux frais : celle d’une matérialité du son qu’il faut envisager dans son caractère extensif et quasi-perpétuel – d’où cet intitulé : Infinite Music, qui convoque l’une des modalités essentielles de la drone music, déjà présente dans la célèbre installation immersive de Young et Marian Zazeela nommée Dream House (qui a aussi donné lieu à un disque chez Shandar en 1974). Soit une tentative de saisie du phénomène sonore dans ce qu’il aurait de plus “élémentaire” (Caux) : à savoir sa texture, étirée et spatialisée d’une manière impressionnante sur les trois plages du disque (Infinite Music, Magenta et SurgeMachine). Enfin, et ce n’est pas rien, Infinite Music se révèle particulièrement convaincant en se situant à un point précis du dialogue entre avant-garde et pop tel qu’instauré par La Monte Young et suivi par ses disciples : souvenons-nous de Dreamweapon (1990) de Spacemen 3 et sa fameuse note de pochette reprenant une citation de Young, songeons aux tentatives bruitistes-planantes kraut (Outside The Dream Syndicate (1973) de Tony Conrad et Faust). C’est cette tentative d’hybridation entre différents langages musicaux qui travaille fondamentalement les approches de Sonic Boom et Etienne Jaumet. Elle trouve, avec l’apport de Céline Wadier, l’occasion de se redéployer.