Acte 1. Considéré comme une légende urbaine, le bug de l’An 2000 a bel et bien existé. On lui doit ainsi le détraquage en règle de l’ordinateur asthmatique avec lequel Red enregistre alors son premier album à demeure. Paru un an plus tard sur le micro label Rectangle – dirigé par Quentin Rollet et Noël Akchoté, esprits et musiciens libres s’il en est –, Felk se fiche pas mal des genres et de la bienséance. Âmes sensibles s’abstenir, il ne s’agit ici en aucun cas de faire beau, de cajoler l’auditeur. Geste musical spontané façon art brut, cet ovni a au contraire pour objectif premier d’exorciser la perte d’un ami intime à grand renfort de guitare acoustique largement improvisée et d’électronique barge. Mais la vie l’emporte à la fin, comme en témoignent les cris et les rires des enfants qui jouent dans la pièce à côté et, surtout, cette poignante reprise du I Saw The Light de Hank Williams saluée en son temps par David Grubbs. Excusez du peu.
Acte 2. Dix-huit ans (ou presque) plus tard, Red enregistre une suite saisissante à son chef d’œuvre inaugural : le bien nommé Felk Moon, clin d’œil malin au vénéré Neil Young et son diptyque Harvest (1972) / Harvest Moon (1992). Entre les deux, rappelons aux plus distraits une poignée d’albums de haute volée du plus américanophile des chanteurs français. Qui, fenêtres ouvertes en toute fausse quiétude et avec une même économie de moyens, opère un magistral retour aux sources. Ne tournons pas autour du (manque de) pot, ce huitième album propose le meilleur de la maison Rouge. Un joyeux bordel à visiter donc, où l’on croise le même timbre de voix que Kurt Wagner de Lambchop, un son de guitare acoustique qui doit beaucoup à celui de Swell, le génie d’écriture de Gil Scott Heron (We Almost Lost Detroit) et Bertrand Belin en invité de marque au chant et au violon (Bunch Of Teens). Et, omniprésent, cet habillage électronique qui délaisse les griffures d’antan pour se faire plus caressant.
En une demi-heure et sept titres, Red pose un regard sans concession sur les cinq décennies qu’il vient de traverser, d’une jeunesse agitée (Bunch Of Teens, I’m Weird) à un avenir modeste (I’m Fucking Small), le tout sans jamais oublier les amis, musiciens et compagne disparus (Old Friend, The Day David Bowie Died I Was Listening David Freel, The The Ex Lover Doppler Effect). Pour l’occasion, notre homme cisèle son écriture et pratique le grand écart entre rock’n’roll urbain, slow et soul sensuelle. Avouons-le, contrairement à certains de ses prédécesseurs, Felk Moon ne comporte ni longueur ni morceau à jeter, et s’impose comme un classique instantané. Il marque également les retrouvailles avec Quentin Rollet (Bisou Records) et ce projet fou pour le chanteur d’illustrer de sa main chacune de ses pochettes. Artisan d’Art lunaire, on vous dit. C’est pourquoi, comme il le chantait jadis, Life Is Great… With Red, serait-on tenté d’ajouter en guise de conclusion.