Ride, Cocteau Twins, The Sundays, Prefab Sprout, Cowboy Junkies… : le nouveau film de Christophe Honoré s’intitule Plaire, aimer et courir vite, mais pour reprendre le titre d’un de ses précédents long-métrages, ce sont nos chansons d’amour qu’il a choisi de synchroniser. Le réalisateur nous propose aussi d’entendre dans une salle de cinéma des chansons rares, comme c’est le cas avec You’ve Lost Me There de Cardinal ou Dreams of Pleasure de Siglo XX. Section 26 s’est entretenu avec Frédéric Junqua, qui a signé la supervision musicale du film.
Frédéric Junqua : Le choix des musiques de Plaire, aimer et courir vite s’est fait à quatre mains avec Christophe Honoré. Le film se déroule en 1993, et il était important que les morceaux retenus reflètent cette époque, sans qu’ils soient pour autant précisément parus cette année. Tout comme il nous a semblé indispensable aussi qu’ils ne couvrent pas qu’un seul style, raison pour laquelle on entend aussi bien Astrud Gilberto, Cocteau Twins qu’un Aria de Haendel. Dès l’écriture, Christophe avait donné des indications – le morceau de Cardinal, par exemple, figurait dans le scénario. Christophe est un passionné d’indie-pop, c’est la bande son de ses vingt ans. Les deux personnages principaux du film évoluent dans deux univers musicaux différents : la bande qui gravite autour d’Arthur (Vincent Lacoste) écoute de la pop anglaise, alors que les choix de Jacques (Pierre Deladonchamps) sont moins ancrés dans l’époque : Astrud Gilberto, Haendel… Le traitement de la musique dans ce film a fait l’objet d’un soin particulier : aussi bien la durée des extraits choisis que le parti pris de prolonger un titre d’une scène à une autre ou encore la transition assumée du diégétique à l’extra-diégétique.
Etait-ce ta première collaboration avec Christophe Honoré ?
Frédéric Junqua : Non, j’ai la chance de travailler avec Christophe et sa monteuse Chantal Hymans depuis Les Biens-aimés, en 2011. Pour Plaire, aimer et courir vite, le défi était de faire découvrir à l’autre des morceaux auxquels il n’avait éventuellement pas pensé, en gardant bien à l’esprit que nous n’étions pas uniquement là pour nous faire plaisir, et que la musique devait d’abord servir le film. J’ai par exemple proposé Cache-cache party de Jérôme Pijon, qui m’avait séduit à sa sortie par son approche pop très anglaise. L’Aria de Haendel, par contre, c’est à Christophe qu’en revient l’initiative. Christophe est également metteur en scène d’opéra – il avait une idée très précise non seulement de l’extrait, mais également de l’interprète : il a insisté que ce soit un contre-ténor, en l’occurrence David Daniels. C’est aussi Christophe qui a eu l’idée du morceau d’Anne Sylvestre qu’on retrouve aussi sur la bande annonce – il m’a encore bluffé sur ce coup-là.
Ce qui m’a marqué en voyant le film, c’est l’originalité dans le choix des morceaux. Votre choix s’est plus porté sur des album tracks que sur des singles.
Frédéric Junqua : Toute la difficulté, quand on synchronise un titre sur une séquence de film, c’est de choisir une musique qui soit à la fois signifiante sans pour autant phagocyter la scène. Pour prendre l’exemple de Massive Attack par exemple, si le choix s’était porté sur Safe From Harm ou Protection, nous courions le risque de renvoyer le spectateur à des souvenirs personnels liés à ces titres et de le distraire un moment du film. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi One Love. D’une manière générale, je n’aime pas quand la musique se fait trop remarquer.
C’est la première fois que j’entendais Siglo XX synchronisé dans un film…
Frédéric Junqua : Le titre s’est insinué dès la lecture de la scène qui se passe à Amsterdam, étant donné qu’il s’agit d’un groupe flamand. Sachant que le premier surpris a été… le chanteur du groupe, lorsque nous l’avons contacté. C’est un choix qui ne passe pas inaperçu – je suis content par exemple que Jacques Mandelbaum y ait fait référence dans son article paru dans Le Monde.
Y a t-il des morceaux au sujet desquels vous avez changé d’avis pendant le tournage ?
Frédéric Junqua : Pour One, Christophe connaissait la version chantée par Aimee Mann dans Magnolia de Paul Thomas Anderson. Nous nous sommes tournés vers la version originale d’Harry Nilsson, qui s’est imposée comme une évidence. Le titre démarre alors qu’Arthur attend un coup de fil à côté d’une cabine téléphonique. Et One débute par une note qui se répète, exactement comme la sonnerie d’un téléphone occupé – Nilsson racontait dans une interview que c’est un appel qu’il a tenté toute une nuit qui lui a inspiré ce titre. On s’en est rendus compte au montage, mais cette coïncidence n’était pas préméditée. A la place du morceau de Ride, Christophe avait envisagé au départ un titre des La’s, Freedom Song. Mais il se trouve que le chanteur du groupe récuse la version album et nous a proposé une maquette – qu’il avait par ailleurs publiée ultérieurement. Mais elle ne convenait pas par rapport à la dynamique de la scène.
Des morceaux que vous n’avez pas gardé au montage ?
Frédéric Junqua : Christophe avait écrit une scène où un protagoniste entonnait The Boy With The Thorn In His Side des Smiths, mais au tournage il s’est avéré que c’était moins concluant.
Certains achats de titres ont-ils été difficiles ?
Frédéric Junqua : La discussion avec le management de Massive Attack a duré six mois. Le groupe est très sélectif. Nous avons fini par recevoir l’accord le jour où on apprenait que le film était sélectionné pour Cannes. Un jour à marquer d’une pierre blanche.
Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré est actuellement en salles.
entendre Cardinal sur france inter lors de la pub pour le film fait son petit effet… Mais aller voir un film de Christophe Honoré reste plus compliqué.