Encore un livre sur la pierre de touche, incontournable au point d’en devenir parfois encombrante, de la chanson française, enfin pop plus encore que populaire. Certes, mais c’est le troisième par ordre d’importance, après la biographie imposante de référence, Gainsbourg, publiée l’année qui a suivi la disparition du grand Serge en 1991 par feu le journaliste belge Gilles Verlant, et le Gainsbourg Sans Filtre de Marie-Dominique Lelièvre, contrefeu admirable en 1994 sous la plume acérée de la future biographe de Coco Chanel, Françoise Sagan, Brigitte Bardot et Yves Saint-Laurent.
Le Gainsbook : En Studio Avec Serge Gainsbourg, beau livre de 448 pages chez les éditions Seghers, qui avaient proposé dès 1987 un Serge Gainsbourg signé Lucien Rioux dans sa fameuse collection “Poésie et chansons”, est le fruit d’un travail collectif de longue haleine sur plusieurs décennies de la part de Sébastien Merlet, commissaire de l’exposition Le Poinçonneur A 50 Ans ! à Lille en 2008, du journaliste musical tous azimuts Christophe Geudin, de l’écrivain Jérémie Szpirglas et d’Andy Votel pour “l’enquête anglaise”. Oui, le Andy Votel (Shallcross pour l’état civil) associé à Damon “Badly Drawn Boy” Gough dans le label Twisted Nerve, qui avait à nouveau fait les beaux jours de la musique mancunienne au début des années 2000.
Ledit Andy a lui-même sorti 2 albums en 2000 et 2002, avant de revenir depuis 2015 au format cassette, peut-être en souvenir de sa jeunesse hip hop à Manchester, avec la bande du disquaire spécialisé Fat City et du label emblématique Grand Central de Mark Rae, qui lui a offert son nom d’artiste (VOTEL est un acronyme du collectif local Violation Of The English Language) et de se consacrer à un travail sans relâche de rééditions via Finders Keepers. La francophilie d’Andy Votel s’y prolonge autour du compositeur de musiques de films Michel Magne, du groupe-culte tourangeau X-Ray Pop et surtout de Jean-Claude Vannier, l’arrangeur de Melody Nelson (1971), qui vient d’ailleurs tout juste de sortir l’album Corpse Flower avec Mike Patton, ex-Faith No More. En 2006, grâce à Andy Votel, l’atypique Vannier dirigeait Histoire De Melody Nelson et son propre L’Enfant Assassin Des Mouches au Barbican Centre de Londres. Ce “digger” bien avant l’heure de la résurrection du vinyle était l’homme de la situation pour retracer le parcours à travers les studios londoniens de mister Gainsbourg, accompagné par les regrettés David Whitaker, Arthur Greenslade, le toujours vivant Alan Hawkshaw et quelques fines gâchettes britanniques, dont le guitariste du thème de James Bond, de la seconde moitié des années 1960 jusqu’à la fin de la décennie suivante. Le tropisme anglais de Gainsbourg ne date donc pas de sa rencontre amoureuse avec Jane Birkin, lors du tournage en 1968 entre Paris et Venise du film Slogan de Pierre Grimblat, mais se prolonge ainsi façon nouvelle entente cordiale. Pour en revenir au seul Melody Nelson, la French touch “made in Versailles”, avec Air et compagnie, se réunissait annuellement au cours des 90’s, soit la décennie pré-Internet, pour l’écouter religieusement dans le noir sans avoir aucune idée de l’identité de qui jouait sur l’album faute de crédits disponibles. C’était alors le grand mystère de la musique française, de la même façon qu’au niveau mondial la maison de disques américaine Motown avait occulté les noms des protagonistes du groupe-maison les Funk Brothers. Mais ça, c’est une autre histoire.
Au-delà de son caractère chronologique de 1958 à 1991 avec autant de chapitres que d’albums de Serge Gainsbourg sans pour autant négliger ses 45 tours ou bien sa production pour d’autres artistes, des plus ou moins grands noms déjà connus aux autres franchement surprenants voire obscurs, le Gainsbook explore un angle mort du “storytelling” à la gloire d’un auteur-compositeur-interprète élevé à retardement dans son pays au rang de statue du commandeur et désormais ambassadeur post-mortem du cool parisien à l’étranger. Nos trois mousquetaires français aidés par Andy Votel s’intéressent finalement plutôt à la musique de Gainsbourg qu’au personnage, et retracent plus précisément, et dans les moindres détails les conditions objectives d’enregistrement avec Alain Goraguer puis Michel Colombier et leurs différentes équipes de musiciens au gré des périodes.