Alors qu’est réédité ces jours-ci l’un des monuments de Grouper, le sublime Dragging A Dead Deer Up A Hill, le prestigieux label Kranky fait enfin paraître une collection inédite de chansons de la divine Liz Harris datant de cette même année 2008. Il y aurait long à écrire sur ce qui fait le charme de la musique de cette enchanteresse : sa beauté mystique qui invite au recueillement, l’impression de proximité et d’intimité qui émane des quelques accords de guitares de ses partitions folk, ce drone envoûtant comme un fort parfum d’encens, sa mythologie de la solitude et d’un rapport singulier (et parfois monstrueux) à la nature. Et que dire de cette si paisible voix qui, à peine susurrée, emplit avec aisance l’espace sonore et l’imagination de l’auditeur… Comme la plupart des albums de Grouper, The Man Who Died In His Boat repose sur un concept – comme on dit laidement.
Ici, il s’agit d’un mystère, du lointain souvenir d’un voilier échoué sur une côte d’Agate Beach, sans qu’on ait pu retrouver son occupant, ni expliquer les raisons du naufrage. L’irrésistible attraction qu’exerce cet échouage sur l’imagination de la chanteuse alors adolescente et le sentiment de profanation qu’elle connut en posant les pieds à bord du navire constituent un sujet idéal pour la prose belle et quelque peu morbide de Grouper. Formellement, le récit de cette malheureuse Odyssée épouse le style de Dragging A Dead Deer Up A Hill, soit la synthèse la plus parfaite qui ait été opérée entre le drone et le folk. Et il suffit d’un léger effort d’imagination pour sentir les embruns à l’écoute de Vital, pour entendre l’appel des sirènes sur Difference (Voices), pour goûter à l’abandon d’une noyade sur Vanishing Point. Liz Harris, Ophélie d’un soir et tout à fait coutumière de ce genre de forfaits, nous offre l’un de ces rares voyages dont on ne sort pas (tout à fait) indemne.