L’histoire du terme EBM (Electronic Body Music) est bien connue. Ralf Hütter de Kraftwerk a dans une interview pour le magazine Sounds mobilisé la figure du corps pour souligner l’engagement physique qu’impliquait la musique de The Man-Machine. Une pop électronique, qui s’avère plus rythmique et dansante que dans leurs disques précédents. Mais c’est à la formation belge Front 242 qu’il reviendrait d’avoir véritablement inventé le genre et son appellation. En quelques titres imparables, elle a formalisé une sorte de post-disco ou de synthwave industrielle, croisant efficacité dancefloor et puissance d’évocation idéologique. Son caractère fascinant réside dans sa mobilisation d’un imaginaire social souvent ambigu, mais aussi une forte charge sensuelle et sexuelle, comme si il s’agissant de faire de la dance music un vecteur d’expérimentation sonore et politique. Les basslines hypnotiques de Giorgio Moroder chantées par Donna Summer rencontrent la vitalité du punk et certaines recherches issues de la scène Kraut ou industrielle – pour donner naissance à une forme hybride, une sorte d’avant-gardisme pop et dance.
Et c’est cette singularité que le réalisateur Pietro Anton (a qui on doit le très beau Italo Disco Legacy) s’attache à souligner dans Electronic Body Movie. Construit à partir d’entretiens avec les principales figures de la mouvance (D.A.F., Front 242, Liaisons Dangereuses, Nitzer Ebb, Klinik, Neon Judgment…) et d’images d’archive, son film permet une traversée historique et thématique de cette séquence marquante de l’histoire des musiques électroniques. Un document qui permet de réellement prendre la mesure de son importance : la techno de Détroit (Juan Atkins, Derrick May, etc.) y a trouvé une grande source d’inspiration (en samplant Liaisons Dangereuses notamment), mais aussi le revival Electroclash (The Hacker ou Terence Fixmer, présents dans le film) ou toute une scène dark-synth contemporaine. Le caractère frontal, militariste de l’esthétique EBM, les subcultures SM ou Skin Gay qu’elle convoque, confère à ce genre une aura de radicalité transgressive qui est pour beaucoup dans sa force d’attraction et de fascination. Aussi, la maitrise narrative du réalisateur, la manière dont il opère un montage nerveux et métronomique (à l’image du beat EBM), ne peut que rendre hommage à cette mouvance trop souvent sous-estimée. L’occasion avec Electronic Body Movie, donc, d’en découvrir ou redécouvrir les figures marquantes.