Quand ils étaient jeunes, ils aimaient bien faire du bruit avec leurs guitares. Quand nous étions jeunes, nous avons parfois pris plaisir à les écouter. Au-delà de ces quelques réminiscences triviales, il n’y avait pas forcément grand-chose à attendre, en 2023, de ce qui ressemblait fort à une réunion d’anciens combattants du shoegaze organisée par un second rôle un peu vite oublié. Certes, le générique est éloquent. Ils sont venus, ils sont tous là, réunis autour de Simon Rowe pour apporter leurs écots, plus ou moins conséquents à celui dont ils ont croisé la route pour la première fois il y a plus de trente ans : presque tous les ex-Chapterhouse dont Rowe fut l’un des membres fondateurs, Neil Halstead et Ian McCutcheon (Mojave 3) qu’il accompagna dans la deuxième moitié des années 1990 et même Hamish Brown (Revolver) à la basse. Cela prouve indéniablement que Rowe est un chic type à même de nouer et d’entretenir des amitiés musicales durables. Pas qu’il soit en mesure de publier, à cinquante ans passés, un premier album solo digne d’un intérêt considérable.
Alors que l’ensemble de ces doutes se dissipent dès les premières volutes instrumentales de l’introductif Croxted Crows, la surprise éprouvée à l’écoute de Everybody’s Thinking n’en est que plus heureuse et saisissante. Simon Rowe a pris tout le temps qu’exigeait la confection attentive de ses compositions avant de les dévoiler. Dix années, pas une de moins, pour parfaire ces dix morceaux : la patience paie et l’auditeur plein de gratitude encaisse sans réserve les dividendes. Nulle tentative ici pour jouer la carte de la nostalgie juvénile ou pour renouer avec les stridences saturées d’autrefois. Les mélodies, impeccablement classiques, ne cherchent plus à se dissimuler avec de fausses pudeurs derrière le mur du son. Les références aux grands maîtres du songwriting de la fin des années 1960 – Fred Neil et Harry Nilsson en premier lieu, comme en témoigne ostensiblement le titre de l’album en forme de clin d’œil plus qu’appuyé à Everybody’s Talking – sont assumées, digérées même depuis longtemps. Et si les arrangements stimulent de temps en temps, par petites touches délicates, les fibres du souvenir, c’est souvent à Moose que l’on songe en les entendant, bien davantage qu’à n’importe laquelle des formations autrefois concurrentes et ici représentées. Il y a, en effet, une familiarité immédiatement séduisante et qui rappelle les chouchous de la rédaction de la RPM, dans cette mélancolie teintée de psychédélisme (Trust In Someone, Before Sundown), dans ces altérations subtiles du cours des mélodies qui ne nuisent pourtant jamais à la clarté limpide l’évidence pop (Saturn Saw Us). Quand les anciens shoegazers se permettent de servir sur le tard de si beaux restes, le festin est quasiment impératif.