Zuider Zee, Zeenith (Light In The Attic)

Il est quelque fois rassurant de constater que le travail ingrat de fouilles archéologiques dans le lointain passé de la pop permet encore d’exhumer des pièces importantes d’un patrimoine musical négligé ou carrément inconnu. C’est le cas aujourd’hui avec cet album inédit de Zuider Zee. Injustement relégué à n’occuper qu’une place dérisoire dans les notes de bas de page de l’histoire de la power pop sur la foi d’un unique album publié et trop vite enterré par CBS en 1975, cet obscur quartet américain mérite en effet d’être redécouvert et réhabilité. 

Zuider Zee

Comme d’autres membres d’une génération sacrifiée, Richard Orange et Gary Simon Bertrand, les deux leaders du groupe, ont d’emblée le sentiment d’être nés quelques années trop tard, parvenant à leur maturité artistique dans une époque avec laquelle ils apparaissent irrémédiablement décalés. Comme quelques autres de leurs jeunes contemporains – ils ont pour nom Chris Bell, Eric Carmen ou Emitt Rhodes – ils entrent dans la carrière au début des années 1970, involontairement accablés du fardeau de la nostalgie. Membres d’une génération biberonnée des mélodies nourricières de la British Invasion, irrémédiablement fascinée par le débarquement des Beatles, ils s’efforcent tant bien que mal de prolonger cet âge d’or déjà révolu depuis quelques années. Dans les garages et les bars du Sud des Etats-Unis où le groupe fourbit ses premières guitares, l’heure n’est plus à la limpidité mélodique et aux chansons impeccablement calibrées. Dépourvues de la moindre trace de complaisance instrumentale ou de revendication patrimoniale locale, ses compositions déjà anachroniques ne peuvent que sérieusement détonner face aux attentes d’un public désormais séduit par les prouesses virtuose des frères Allman ou de Lynyrd Skynyrd. Le rock sudiste est né, condamnant Zuider Zee dans l’œuf. A l’instigation de son manager, il quitte donc la Floride en 1973 pour s’installer à Memphis, dans des terres où il peut au moins bénéficier d’une indifférence polie, toujours préférable à la franche hostilité. C’est dans les studios de Steve Cropper que Zuider Zee enregistre ainsi les douze titres aujourd’hui exhumés qui composent ce premier album posthume et rétrospectivement fascinant. La liberté de ton alimentée par une consommation quasi-quotidienne d’acide lui permet en effet de jeter une remarquable série de ponts entre deux décennies, un pied solidement ancré dans le classicisme pop des années soixante, l’autre dans le progressisme sonore et la profusion hétéroclite des années soixante-dix comme en témoigne la construction complexe et ambitieuse de Miami ou After The Shine’s Gone. Les influences dominantes demeurent incontestablement britanniques et entretiennent le sentiment de découvrir parfois un croisement inédit entre les Wings et Badfinger. La proximité vocale avec Paul McCartney qu’entretient sans la moindre vergogne Richard Orange imprègne également les quelques ballades guillerettes (Ackbar Didebar ou Quite A While). L’ensemble apparaît donc comme une réussite majeure, qui reste malheureusement presque sans lendemain. L’album officiel qui suivra deux ans plus tard ne permettra pas au groupe d’assurer durablement sa survie, malgré le soutien de quelques uns de ses pairs (notamment Rick Nielsen de Cheap Trick). Comme souvent en de pareilles circonstances, la solidarité originelle finit par se fissurer et les membres quittent les uns après les autres un navire en perdition. Richard Orange prolongera tant bien que mal l’agonie de quelques années, assurant même la première partie des Sex Pistols également décomposés à Memphis en 1978. Il refera surface de temps à autres, composant à l’occasion pour Cindy Lauper et publiant même un album solo en… 2005 ! Mais c’est encore pour cette œuvre de jeunesse inédite qu’il mérite à coup sûr de récupérer la place, même secondaire, qui lui est due dans le Panthéon de la perfection pop. Mieux vaut tard…

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