Stratis, New Face (Dark Entries)

Stratis, New FaceLa réédition d’œuvres oubliées ou considérées comme cultes fait aujourd’hui office de secteur bien identifié de la production discographique. Et ce jusqu’à une certaine forme de saturation, la recherche de la rareté à tout prix, l’exhumation de l’incunable (typique du digger), conduisant parfois plus au dispensable qu’à la redécouverte décisive—une logique qui est trop souvent celle de la surenchère érudite. Reconnaissons dès lors au label états-unien Dark Entries le mérite de ne pas céder à cette forme de facilité, et de toujours nous proposer un choix impeccable dans ses parti pris éditoriaux. Fondé en 2009 par Josh Cheon, on lui doit notamment les redécouvertes d’Eleven Pond, Zwischenfall, de certains disques de The Neon Jugment ou encore de superbes compilations du Patrick Cowley compositeur de BOF porno gays. Un catalogue cohérent qui couvre cette sphère underground 70’s/80’s croisant disco, post-punk, synthpop ou encore proto-house.

Et c’est aujourd’hui avec la reparution sur format vinyle de New Face (1983), deuxième album du duo de Cologne Stratis (formé en 1981 avec Antonios Stratis et Albert Klein), que nous pouvons réaborder un pan de mieux en mieux connu de la musique électronique européenne. Celui qui correspond à ce moment de transition entre les expérimentations kosmische et ce qui va s’imposer au cours des années 80 sous le terme générique de dance music. Autrement dit ici ce qui pourrait constituer le chaînon manquant entre le Tangerine Dream période Phaedra (1974) et les premières tentatives acid house. On peut à cet égard penser à ce qui s’est élaboré du côté de Düsseldorf avec DAF, et bien évidemment Kraftwerk : l’électronique quittant peu à peu les rivages de l’expérimentation avant-gardiste pour muter en medium central du clubbing futuriste. Mais avec, pour ce qui concerne New Face (deuxième album du duo sorti à l’époque sous format K7 sur le label Creative Tapes/ICR), une tonalité plus planante et progressive : de Technotown qui ouvre le disque à Froogy Weather qui le clôt, avec entre les deux par exemple Birds In A Cage, l’un des motifs centraux est à l’évidence celui de la boucle midtempo et de ses progressions hypnotiques. Ceci n’étant pas sans évoquer Chris and Cosey et leur musique industrielle lorgnant vers une forme de techno prototypique qui n’aurait pas complètement liquidé toute dimension pop traditionnelle. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités du projet Stratis, avec quatre albums de 1981 à 1984 (plus un retour en 2004), que d’avoir incarné l’une des faces les plus aventureuse de la Neue Deutsche Welle première période. New Face, dans cette perspective, s’impose comme un jalon essentiel de ce qui a pu être l’une des séquences les plus passionnantes de l’underground électronique allemand : ce moment lors duquel le futurisme parfois naïf d’un certain imaginaire science-fictionnel s’est hybridé avec celui, plus dystopique, du monde post-industriel en crise —en imposant de la sorte un rapport quelque peu distancié, ironique, avec la technologie, pour mieux en réinvestir le caractère fondamentalement duplice. Aussi, l’ambition générale de New Face s’avère en accord avec cette visée esthétique, comme un croisement réussi entre JG Ballard, le Vangelis de Spiral (1977) ou Blade Runner (Ridley Scott, 1982). A (re)découvrir donc.

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