Nos années cassette #2

Photo : Stéphane Duval

Dans le précédent épisode de cette série, Christophe me racontait : “J’étais toujours ému de recevoir une lettre d’un fan de Christian Death originaire du Havre ou d’Annecy”. Cette phrase a fait écho en moi, et j’ai décidé de pousser plus loin mes recherches. Je ne connaissais personne au Havre ni à Annecy, mais un complice m’a mis en contact avec Stéphane, originaire de Poitiers. Stéphane qui, pendant plusieurs années, a également pratiqué des échanges de cassette. Aujourd’hui, que lui reste t-il de ces années  ? A t-il conservé des cartons de HF-90 ? Et les écoute t-il encore ?

Stéphane : Je suis originaire de Châtellerault, qui est un peu le Manchester du Poitou. Rien à faire… Sauf qu’aucun groupe notable n’en est jamais sorti (rires) ! En 1984, à l’occasion d’un échange scolaire, j’ai effectué mon premier séjour en Angleterre, à Northampton. Beaucoup de filles étaient déjà coiffées comme Robert Smith. Un des accompagnateurs était fan des Stranglers, il recevait leur magazine “Strangled”. De mon côté, j’avais découvert The Smiths grâce aux Enfants du rock. Je n’écoutais pas Bernard Lenoir mais quand j’arrivais à capter BBC 1, j’enregistrais les sessions de John Peel et de Janice Long sur K7 audio – souvent avec un très mauvais son malheureusement. La première session que j’ai dû enregistrer, c’est celle de Siouxsie and The Banshees, à la sortie de Tinderbox.

Photo : Stéphane Duval

Comment as-tu commencé à faire des échanges ?

Après que j’ai investi dans un enregistreur. Un Sony Pro WMD 3. C’était un gros investissement à l’époque. Le D3 avait un avantage sur le D6, c’est qu’il était plus petit, donc plus facile à dissimuler à l’entrée des concerts. Car il faut rappeler qu’à l’époque, les spectateurs étaient systématiquement soumis à la fouille à l’entrée des concerts. Le seul moyen de passer le WMD 3, c’était dans le slip.

Tu avais l’impression de faire quelque chose d’illicite ?

Non, parce que j’ai toujours procédé par échanges. A de très rares occasions près, je n’ai pas vendu mes cassettes. Je n’avais pas l’impression de me faire de l’argent sur le dos des groupes étant donné que je ne gagnais pas d’argent du tout. C’était même un passe-temps assez coûteux étant donné qu’au sommet de ma collection, je devais posséder 400 cassettes – tout mon argent de poche y passait, sans parler des frais de port pour les expédier, des coupons réponses internationaux qu’il fallait expédier pour recevoir des listes…

Photo : Stéphane Duval

Comment as-tu trouvé des personnes pour échanger ?

C’était un petit milieu. Il fallait montrer patte blanche pour y entrer : dire à partir de quel enregistreur les prises de son étaient faites, avec quel appareil les bandes étaient ensuite dupliquées, avec quel produit tu nettoyais tes têtes de lecture… Les listes d’échanges – tapées entièrement à la machine, bien entendu – étaient renseignées de manière très précise : s’il s’agissait d’un master ou non, d’une copie de première génération ou non… J’avais la chance d’échanger avec des personnes qui réalisaient elles-mêmes leurs propres enregistrements. Notamment une personne à Amsterdam, qui me faisait suivre tous les concerts du Melkweg, et une autre en Californie.

Photo : Stéphane Duval

Enregistrer, c’est aussi une discipline ?

Oui. D’abord, il fait entrer le magnéto sans se faire piquer. Ensuite, il faut régler le volume de l’enregistrement pendant les trois premiers morceaux – pas trop fort pour ne pas faire saturer la bande, pas trop faible pour qu’il n’y ait pas trop de souffle. Enfin, ne pas se faire repérer dans la salle à cause des diodes qui clignotent. Et ne pas oublier de retourner la cassette au bout de 40 minutes pour qu’un morceau ne soit pas coupé en milieu de face.

Est-ce que ça ne gâche pas le concert ?

Non, parce que certains concerts se révèlent meilleurs à la réécoute. Le son est meilleur sur l’enregistrement qu’il ne l’était dans la salle le soir même. J’ai souvent été surpris de découvrir à la réécoute des subtilités auxquelles je n’avais pas prêté attention sur le moment.

Photo : Stéphane Duval

Tu ne t’es jamais fait choper ?

Non, mais une fois j’ai eu très peur en allant applaudir Nick Cave à Bourges. Les videurs affichaient comme des trophées tout ce qu’ils avaient confisqué à l’entrée de la salle…

Photo : Stéphane Duval

Tes premiers enregistrements ?

Blurt à Poitiers, avec Seconde Chambre et Dazibao en première partie. And Also The Trees à La Riche, à côté de Tours. Passion Fodder, Suicide, Minimal Compact, tous au Confort Moderne.

Réalisais-tu également les jaquettes ?

Oui, toutes sur le même modèle. J’achetais des feuilles de papier noir sur lesquelles je collais le nom de l’artiste et le lieu du concert tapé à la machine. Je collais aussi parfois une photo découpée dans un magazine.

Tu réalisais également avec le même soin celles des cassettes que tu troquais ?

Non, parce que pour des raisons économiques aussi bien que pour des raisons pratiques (les boites arrivaient souvent cassés), je n’envoyais que la cassette par la poste. Quand j’envoyais plusieurs cassettes, je les reliais avec un élastique qui passait à travers les trous pour ne pas que les bobines s’emmêlent pendant le voyage.

Tu me disais tout à l’heure que tu as eu jusqu’à 400 cassettes. Tu les as vraiment toutes écoutées ?

Je vais être honnête : il y a certains concerts que je proposais parce que je savais qu’ils me serviraient de monnaie d’échange. J’ai notamment enregistré un concert de Fugazi au Confort Moderne parce que je savais qu’il serait recherché. Ensuite, il y a des cassettes que j’ai vraiment beaucoup écoutées, comme un concert d’Einsturzende Neubauten à la Cigale ou un concert de Bauhaus à San Francisco. C’était une expérience encore plus forte quand c’était un concert auquel je n’avais pas assisté étant donné que je me faisais un film dans la tête en l’écoutant.

Est-ce que tu écoutais même des cassettes très mal enregistrées ?

Oui, si l’énergie est là. Je pense par exemple à The Cure. Avant 1984, c’est rare de trouver des live avec un son correct. Mais le live, c’est un moment sans comparaison. Parce que c’est l’épreuve du feu. Les groupes ne peuvent pas tricher. Dans les années 80, il y avait une rage particulière. Tu sentais que les groupes avaient envie d’échapper à leur condition et s’en donnaient les moyens. Je n’ai jamais retrouvé par exemple dans les enregistrements studio d’Echo & The Bunnymen la fougue que le groupe déploie en concert.

T’est-il arrivé de découvrir des groupes à travers les échanges ?

Oui. Je pense notamment à toute la scène américaine que j’ai pu découvrir grâce à mon correspondant en Californie : Abecederians, Drowning Pool (pas le groupe de métal), Savage Republic… Des groupes qui ne tournaient pas eu Europe et dont les disques étaient à peine disponibles.

Photo : Stéphane Duval

Abecederians ?

Un groupe qui avait sorti un maxi sur Factory, Smiling Monarks. Je devais avoir une vingtaine de live d’eux.

Pendant combien de temps as-tu réalisé des échanges ?

Trois ans : entre 1988 et 1991. J’ai eu d’autres centres d’intérêt, et je me suis moins retrouvé dans la programmation du Confort Moderne à Poitiers. Pour continuer, il aurait fallu que j’achète un mini-disc, qui était d’une technologie plus poussée que mon WMD3 et qui permettait en plus d’enregistrer 70 min d’une traite. Ne plus devoir enregistrer, c’était une contrainte de moins : je pouvais à nouveau me déplacer pendant les concerts et profiter de la soirée.

Qu’est devenu ta collection ?

A l’exception d’un live de Minimal Compact que j’ai offert, j’ai conservé tous les enregistrements que j’ai réalisé moi-même. Les autres, je les ai dispersés à prix coûtant : je demandais juste qu’on me rembourse le prix de la cassette vierge.

Top 5 des concerts que tu as enregistré par tes propres moyens ?

Photo : Stéphane Duval

Et en dehors de ceux que tu as enregistrés ?

  • Abecederians à Los Angeles en 1988.
  • Tous les concerts d’And Also The Trees entre 1986-1988, leur âge d’or.
  • Bauhaus à San Francisco, Old Waldorf, 1982. C’est un concert enregistré par la radio lors duquel le groupe pète les plombs et part sur une boucle sonore pendant Antonin Artaud. C’est interminable. Même le programmateur radio qui diffuse le concert est obligé d’avancer la bande à l’antenne pour passer au morceau suivant.
  • The Chameleons au Fender’s Grand Ballroom, Long Beach, en 1987. Un grand groupe, malheureusement discrédité par la laideur de leurs pochettes.
  • The Cure à l’Olympia en 1982, un concert d’anthologie
  • Durutti Column, tous les concerts de la tournée US en 1986 : j’avais ceux de Santa Barbara, Hollywood, Laguna Hills, Chicago, New-York… Ce sont des cassettes dont je me suis débarrassé il y 20 ans et que je regrette aujourd’hui. Ce sont peut-être même celles que je regrette le plus !
  • Spacemen 3 au Rex Club en 1989 avec sa version de Suicide de 20mn
  • Autechre à Poitiers en 2001, j’ai mieux compris ce qui s’était passé en le réécoutant.
Photo : Stéphane Duval

Le dernier concert que tu as enregistré ?

Parmi les derniers, il y a eu celui de Spiritualized à la Locomotive, le 03/07/90. C’était un concert qui n’avait pas été annoncé et pour lequel on pouvait retirer des invitations à la boutique Danceteria dans l’après-midi.

Tu regrettes parfois aujourd’hui de ne plus enregistrer ?

Ça m’arrive. Mais aujourd’hui, il suffit d’aller sur Youtube pour trouver plein de live. Ce qui me manque, c’est l’excitation qui entourait les échanges : tu n’as pas idée de ce que représentait pour un gamin de Châtellerault comme moi le fait de recevoir un paquet des Etats-Unis avec des live dedans. C’était comme si c’était Noël à chaque fois ! Mon correspondant me rajoutait à chaque fois dans l’enveloppe des flyers de concerts qui avaient eu lieu à Los Angeles – et je peux te dire que ces flyers, je les ai conservés. C’était un part de rêve. L’excitation de la cassette qui venait de Californie, je cours toujours un peu après.

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