La grande bellezza

Italo-pop 2017

Italo-PopLa pop italienne, comme Capri, c’est fini. Il y a quelques années, je ruminais tristement cette sentence, naïf et résigné. Ce n’était même pas une question de Berlusconisation de la société ou je ne sais quoi – sous Sarkozy, il y a eu de très bon groupes, en France.
Non, il y avait ce sentiment que les pépitaliennes, même en creusant, semblaient bel et bien enterrées. Que l’idée d’une pop transalpine classieuse, sophistiquée et bouleversante ne trouvait plus sa place ni sa raison de vivre. Que la qualité populaire musicale avait pris la poudre d’escampette. Et que l’« indie » incarnait encore plus une «exception culturelle » qu’ici. À une période, en Italie, quand on m’affirmait adorer des groupes « alternatifs » (le mot qui revient là-bas pour causer de musique moins « classic rock » ou mainstream), c’était pour prononcer – dans la moins pire des situations – des noms comme Radiohead; Coldplay ou Keane, dans des cas plus extrêmes. Ce n’est pas du snobisme: le problème, c’est quand les musiciens eux-mêmes mentionnaient ces groupes – paye tes influences ! Résultat: à partir de ces références discutables, quelques disques qui ne cassaient pas trois lattes à un canap’, surtout beaucoup de rock cousu avec des bouts de ficelles mais très grosses, les ficelles : de l’emphase à gogo, du pompage pompier, des refrains poussifs, un son calibré FM indigeste… Des machins plus proches de la bande à Bono que de Lawrence. Où étaient passés le raffinement et les beaux arrangements? Et les plus jolies mélodies du monde? Pour une fois, j’étais d’accord avec les réacs (et avec Hervé Villard): c’était mieux avant vu que non seulement c’était merveilleux, mais qu’en plus, aujourd’hui c’est vraiment médiocre. Mais, optimiste, j’espérais des lendemains qui chantent mieux. «Domani sara un giorno migliore », pour citer l’idole Cesare Cremonini, période Lunapop.

Comme dans la pop en général, les grandes heures de la musique italienne se situeraient dans les années 60/70 – nos meilleures années. Puis il y a l’italo-disco, flamboyante, sensuelle. Moi, j’ai bien aimé aussi les 90’s, quand j’étais enfant ou presque ado : in-extremis Lunapop donc (unique album, « …Squerez ? », en 1999), Jovanotti mais de préférence quand il ne rappait pas, les aventures dance de 883, les disques toujours sublimes et novateurs de l’autre idole Luca Carboni; même Celentano a conçu des chefs-d’oeuvre durant cette décennie (mention spéciale à « Il Re Degli Ignoranti »), Battiato en a sorti des plutôt dignes à défaut d’être dingues… Et puis bon, à cette époque, si on était pas trop convaincu par Nek (« Laura Non C’è », hit en France il y a 20 ans pile) ni fou-fou d’Alex Britti, on pouvait se consoler avec des instants rétro de Radio Margherita, voire piocher directos dans les valeurs sûres au rayon à l’ancienne, en vrac: Mina, Antonello Venditti, Francesco De Gregori, Caterina Caselli, Lucio Battisti, Rino Gaetano, Alberto Radius, Pino Daniele, Gianna Nannini, Lucio Dalla, Edoardo Bennato, Claudio Lolli, Patty Pravo, Ivano Fossati, Fabrizio De Andre, Francesco Guccini… Des chanteuses et chanteurs plébiscité.e.s dans le pays, intemporel.le.s et intergénérationnel.le.s, dont la préciosité vaut souvent aussi bien politiquement que mélodiquement. Pourquoi se coltiner des zigs aussi moyens et à la mode que Moda à la place de ces génies? Mais non!

Ti Amo

Pour la pop italienne, les années 2000 ne sont finalement pas si mal (Cremonini et Carboni en tête), les années 2010, carrément meilleures. Et 2017? Grandiose. Je ne parle pas d’une réédition de Battisti ni d’un nouveau Battiato (ni d’une incroyable captation live d’Andrea Boccelli). Ni – désolé – de Phoenix & «Ti Amo». Phoenix, c’est un cliché de l’Italie, au sens de carte postale autant que de lieux communs: la moto, les glaces, les fruits de mer, les graffitis d’amour sur les murs et tutti chianti. Battiato et Battisti sont cités; c’est vrai qu’il aurait été étrange de la part des Versaillais d’évoquer Zucchero et Ramazzotti. La force de «Ti Amo », c’est que c’est de l’exotisme réciproque: pour les Français, parce que, derrière les lunettes de soleil D&G, il y a des clins d’oeil à Battisti (accord 4e Maj7, qu’ils appellent eux-mêmes «l’accord Lucio»), à un état d’esprit 80’s, aux nuits blanches comme le sable, à l’été (en Italie c’est tous les jours le mois d’août); et pour les Italiens parce que c’est le «chic à la française»… accouplé donc à la classe à l’Italienne. Comprenons-nous bien pour Phoenix: tant mieux pour la dimension belvédère fastoche, la musique est aussi là pour générer du fantasme. Et puis : «Tuttifrutti » et «Via Veneto» restent de belles chansons. Mais dans les sorties récentes solo musica italiana, j’ai surtout eu beaucoup de frissons en écoutant : Cesare Cremonini, Cosmo, Iosonouncane, Giorgio Poi, Edda, Colapesce, Coma_Cose, Selton, Canova, Germano, Colombre, Ex-Otago, Calcutta, Dente, Andrea Lazslo De Simone, Gazzelle, Galeffi, Le Luci Della Centrale Elettrica… Des génies retrouvés de la pop italienne.

Un certain magazine musical a récemment posé la question (au programme du bac littéraire circa 2025) : le français est-il une langue pop ? L’italien l’a dans le sang (chaud). Si l’italien est une langue chantante quand elle est parlée, elle est une langue mélodique quand elle est chantée. Elle ne cache pas sa beauté derrière l’ironie; son romantisme n’est pas pollué par un quelconque deuxième degré. Les italien.ne.s parlent avec les mains ? Elles et ils chantent avec l’âme – l’anima latina, pour paraphraser Battisti. Grande bellezza et mélancolie infinie. S’il peut servir de boussole, Battisti, disons que son ombre – et surtout sa luminosité – planent chez Colombre («Pulviscolo») comme on en trouve chez Giorgio Poi (« Fa Niente »); il y a beaucoup de Battisti chez Germano (« Per Cercare Il Ritmo ») ou chez Selton («Manifesto Tropicale»); il y a du Battisti chez Coma_Cose, un duo à placer «sous surveillance»: « Anima Latina», comme son titre l’indique, rend un hommage sans filtre et émouvant à Lucio. Il y a du Battisti partout comme il y a de l’Italie dappertutto: de Phoenix à Alex Rossi (à venir: son album italo), en passant par du «Italians Do It Better» dans un épisode de la saison 3 de « Twin Peaks», quand Lynch laisse le mot de la fin à Chromatics – il y a encore de l’Italie chez les rappeurs avec l’effet « Gomorra » (SCH, Fianso, L’Algerino & Alonzo, PNL, Worms-t, etc. etc.); il y a de l’Italie partout dans la France pop 2017 et 2018. Et mieux encore : de la pop italienne de luxe dans vos oreilles – le name dropping plus haut est là pour ça. Pour vous inspirer des « Ti Amo » à taguer sur les murs.

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