Graham Nash

Graham Nash
Graham Nash / Photo : Amy Grantham

Parfois éclipsé par les talents conjugués de ses fameux collaborateurs, longtemps relégué au second – et même au quatrième – plan par les ombres portées des egos surdimensionnés de David Crosby, Stephen Stills ou Neil Young, Graham Nash semblait se contenter de ce statut de médiateur artistique, se consacrant presque exclusivement tout au long des années 2000 à entretenir le patrimoine de CSN. Pourtant, les publications consécutives d’une version française de sa passionnante autobiographie – Wild Tales, 2015 (traduite chez Le Mot et le Reste) – d’un nouvel album solo – This Path Tonight, 2016 –  puis, cette année d’une copieuse compilation rétrospective enrichie d’inédits – Over The Years… (chronique à lire ici) – sont venues nuancer ce tableau trop tranquille et trop lisse. C’est bien ce qui transparaissait de ces propos que nous avions recueillis il y a deux ans de cela, lors de l’étape parisienne d’une tournée solo mémorable. Septuagénaire fringant et compositeur toujours inspiré, l’ex-Hollies revisite dans cette interview, avec une liberté de ton toute neuve, une partie de son passé tout en tentant d’échafauder les perspectives d’un avenir moins collectif. Il en profitait également pour régler au passage le solde de quelques vieux comptes : un bilan sans concession qui apparaît au fil de ces quelques mots-clefs.

THIS PATH TONIGHT

« Je suis en plein milieu d’une procédure de divorce. Ma femme et moi étions mariés depuis trente-huit ans. C’est donc une période extrêmement douloureuse mais c’était vraiment nécessaire pour mon équilibre. Dans ce contexte très particulier, j’ai de nouveau ressenti le besoin d’exprimer ce que j’avais sur le cœur, d’exorciser une partie de ces pensées et de ces émotions qui m’accablaient. Je n’avais plus éprouvé cela depuis très longtemps : cela faisait même plus de dix ans que je n’avais pas songé à publier d’album en solo, même si je n’ai jamais cessé d’écrire ou de composer. Toujours est-il que, en un peu moins d’un mois, Shane Fontayne et moi avons réussi à écrire ensemble une vingtaine de chansons : il a composé toutes les musiques, j’ai rédigé toutes les paroles. Cet album représente donc une sorte de parcours émotionnel au travers de ma vie de septuagénaire. Les premières réactions que je recueille sont très positives. Je connais beaucoup de gens qui traversent les mêmes épreuves et je pense que c’est pour cette raison que j’ai réussi à toucher leur corde sensible. Je considère que c’est  une chance exceptionnelle que de pouvoir exprimer une partie de mes sensations les plus intimes. C’est ce que j’ai toujours cherché à accomplir. C’était déjà le cas sur mon tout premier Lp, (Songs For Beginners, 1971) qui m’avait permis de surmonter une période de ma vie sentimentalement très compliquée. C’est toujours ce qui me motive aujourd’hui. »

PASSÉ

« Je suis tombé amoureux d’une artiste new-yorkaise, Amy Grantham (auteur de la photo ci-dessus, ndlr.), qui a d’ailleurs réalisé la pochette de l’album. Tout à coup, ma vie en a été totalement transformée et mon chemin a changé de direction. C’est ce que j’évoque dans plusieurs des nouvelles chansons, notamment Myself At Last. C’est ce titre qui m’a permis de comprendre immédiatement compris que Shane et moi étions sur la bonne voie car la version qu’on entend sur l’album est la première prise du premier morceau que nous avons composé ensemble. C’est très rare pour un artiste de parvenir à ce résultat aussi vite. En général, j’ai besoin de cinq ou six tentatives pour arriver à produire une version satisfaisante. Quand je chante  “ Is my future just my past ? ”, c’est une manière pour moi d’aborder un sujet qui m’a beaucoup préoccupé au cours des dernières années : suis-je vraiment obligé de me laisser piéger par mon passé, de demeurer enfermé jusqu’à ma mort dans cette prison que représente pour moi la musique des Hollies ou de CSNY ? Je dois lutter en permanence pour surmonter ces obstacles parce que je n’ai pas envie de rester captif de ce que j’ai pu réaliser hier ou avant-hier, même s’il s’agit de réussites artistiques majeures. Je suis parfaitement conscient que je n’ai plus beaucoup de temps devant moi : j’ai soixante-quatorze ans. Regarde un peu tous ceux qui nous ont quittés ces derniers mois : la liste est longue. Je m’estime déjà chanceux que mon nom n’y figure pas. »

HARMONIES

« Je ne sais pas d’où me vient cet amour des chœurs et des harmonies vocales. Je me souviens simplement des premières émotions que j’ai pu ressentir quand j’étais enfant, quand j’ai commencé à chanter dans la chorale de l’Eglise. C’était vraiment très impressionnant d’entendre ce tout grandiose résonner dans la nef. Mais ma passion pour le chant s’est surtout renforcée à l’adolescence, quand je suis devenu fan des Everly Brothers. C’est en écoutant leurs disques que j’ai tout appris. Allan (Clarke, cofondateur des Hollies, ndlr.) et moi passions des heures et des journées entières à écouter leurs tubes pour tenter d’en reproduire les moindres notes. C’est vrai que je suis sans doute davantage reconnu comme un chanteur d’harmonies que pour mes performances en solo, mais cela n’a jamais eu de conséquence sur ma manière d’écrire ou de composer. Quand je travaille sur une nouvelle chanson, je ne pense jamais à Steven ou à David. Je ne pense qu’à moi. Une fois que le processus est enclenché, il m’arrive de me dire : “Ce serait génial si David chantait avec moi sur ce refrain ou que Neil et Steven jouent de la guitare après ce couplet.” Mais quand j’écris, je suis incroyablement égoïste. Je t’assure. » (Rires)

AUTOBIOGRAPHIE

« J’ai accepté de rédiger Wild Tales en 2013 tout simplement parce que plusieurs éditeurs m’avaient sollicité depuis longtemps pour me proposer de publier mes mémoires, et que l’un d’entre eux s’est finalement montré plus insistant et plus convainquant. (Sourire) Je ne suis pas du genre à ressasser mes souvenirs mais je dois dire que, quand j’ai relu pour la première fois la version complète du manuscrit, je me suis dit : “J’aimerais vraiment bien être ce gars-là ! ” (Rires.) Il y a un côté un peu fou dans cette vie qui est la mienne, et dont je ne m’étais pas vraiment aperçu jusque là. J’ai eu la chance d’échapper au destin qui m’était assigné au départ et qui avait été celui de presque tous les hommes de ma famille avant moi : le travail en usine ou dans un obscur petit bureau. J’ai réussi à m’enfuir loin de l’Angleterre quand j’ai eu l’impression d’étouffer après quelques années au sein des Hollies. J’ai rencontré des artistes extrêmement talentueux avec lesquels j’ai pu travailler pendant longtemps. Vraiment, j’aurais adoré être moi ! »

POLITIQUE

« J’ai toujours essayé d’alterner entre une forme d’écriture plus introspective et une tradition de chansons politiques qui prolonge un certain héritage de la folk. Je n’ai jamais pensé qu’il pouvait y avoir une quelconque contradiction entre les deux : dans tous les cas, j’essaie d’exprimer le plus sincèrement possible un point de vue ou une émotion qui me tiennent à cœur. Il y a toujours un équilibre à établir entre les aspects plus intimes de l’écriture et les messages à portée plus large. En l’occurrence, j’ai décidé d’écarter de l’album au dernier moment plusieurs chansons qui figurent simplement à titre de bonus sur certaines éditions numériques vendues en ligne, justement parce qu’elles me semblaient un peu décalées par rapport au contenu plus personnel que j’essayais d’exprimer. La première s’intitule Watch Out For The Wind et elle évoque l’assassinat de Michael Brown à Ferguson ; une autre, Mississipi Burning, parle du meurtre dont ont été victimes des militants des droits civils dans les années 1960, simplement parce qu’ils incitaient les Noirs à exercer leur droit de vote dans un état encore très marqué par la ségrégation raciale. Je me suis toujours considéré comme un rebelle : je déteste le statu quo et tous ceux qui cherchent à le défendre. C’est pour cette raison que je fais campagne en faveur de Bernie Sanders. Je voterai pour lui : je peux m’identifier à ce qu’il est et à ce qu’il incarne. Bernie est l’un des nôtres. Je ne crois pas qu’Hillary Clinton et encore moins Donald Trump ou Marco Rubio soient des nôtres. Sur l’une des photos qu’Amy Grantham a prises pour illustrer le livret du nouvel album, je suis debout devant un pan du mur de Berlin où il est inscrit : “ Madness ”. C’est comme cela que je conçois mon rôle : un témoin le plus actif possible de cette folie politique qui est en train de submerger l’Amérique. Il ne reste plus que dix mois de campagne, mais ils vont être fascinants et terrifiants à la fois. Je connais bien ce pays et j’y réside depuis cinquante ans mais je n’ai jamais rien vu de tel. »

MUSICIENS

« L’essentiel de ma carrière s’est déroulée à une époque où les rock stars qui occupaient le devant de la scène étaient considérées comme des surhommes, presque déifiés. Mais on oublie souvent que toute cette scène californienne des années 1970 s’est aussi développée grâce au talent de musiciens de l’ombre que l’on retrouvait sur la plupart de nos albums et qui ont permis d’établir des liens entre tous nos univers. Ils n’avaient sans doute pas des egos aussi développés que ceux des autres, mais leur rôle n’en a pas moins été capital. Je pense bien sûr à The Section : Danny Kortchmar (guitare), Leland Sklar (basse) et Russ Kunkel (batterie). Quels musiciens fabuleux c’était ! A mes yeux, Shane Fontayne est un peu l’héritier de ces très grands instrumentistes. Je l’ai découvert il y a plus de dix ans quand il accompagnait Marc Cohn sur scène. Crosby et moi devions partir pour une tournée européenne et notre guitariste habituel nous a plantés quelques jours avant la première date. Shane a réussi à apprendre les trente-cinq morceaux de notre setlist en deux jours. En plus, il m’a raconté qu’il avait vu un concert des Hollies en 1964 quand il avait douze ans : comment aurais-je pu lui refuser quoi que ce soit ? (Rires) C’est très important d’avoir avec soi ce genre de musiciens qui tire à chaque fois vers le haut les artistes et les groupes auxquels ils sont associés. Je suis ravi que Crosby et Jackson Browne aient été suffisamment malins pour faire également appel à ses services ces dernières années. » (Sourire)

PAUL KANTNER

« Paul était un homme très intelligent et très gentil. J’ai eu l’honneur de participer à l’enregistrement du tout premier Lp de Jefferson Starship, Blows Agains The Empire (1970) et même d’en cosigner une des chansons, Home. Je me souviens très bien de la première fois que je l’ai rencontré. C’était à Los Angeles, à l’hôtel Chateau Marmont. Je suis entré dans sa chambre : le sol était jonché de feuilles de papiers, recouvertes entièrement des paroles de futures chansons. Sans mentir, il y avait au moins cinquante ou soixante textes à l’état de brouillon étalés par terre et Paul était assis au beau milieu de la pièce, en train de fumer un énorme joint tout en essayant de deviner sur quel morceau il allait bien pouvoir travailler ensuite. Immédiatement, je me suis dit que j’allais bien m’entendre avec ce type. (Sourire) Nous nous étions perdus de vue depuis longtemps, bien avant qu’il ne décède en janvier dernier. Mais j’ai toujours gardé beaucoup d’affection pour Paul. Jusqu’au bout, c’est resté un véritable hippie, au sens le plus noble du terme. Il fait partie de cette cohorte de grandes figures qui disparaissent au fil des années et qui laissent une empreinte importante. C’est aussi pour leur rendre hommage que j’ai dédié l’une des chansons du nouvel album, Back Home, à Levon Helm. Pendant la grande tournée des stades de CSNY en 1974, The Band assurait notre première partie sur une quinzaine de dates. J’ai beaucoup sympathisé avec Levon et il a également accepté de jouer de la batterie sur une de mes compositions, Fieldworker (1975). J’ai toujours eu un grand respect pour lui en tant que musicien et qu’auteur. Et le courage dont il a fait preuve jusqu’au terme de sa maladie est un exemple que j’avais envie de saluer. »

AMITIÉ

« Ce n’est pas le terme que j’emploierai pour désigner les relations qui peuvent exister entre Crosby, Stills, Young et moi-même à l’heure actuelle. Nous partageons toujours une grande admiration et un immense respect artistique les uns envers les autres, mais nous ne sommes plus véritablement amis, si tant est que nous ne l’ayons jamais été. Je suis parfaitement conscient de ce que nous avons pu accomplir et je n’en renie pas une seule miette. Pendant presque toutes les années 2000, je suis celui des quatre qui s’est le plus impliqué dans tous les projets de préservation de cette œuvre collective. Quand les coffrets commémoratifs et les enregistrements live ont été publiés, c’est largement grâce à moi. J’ai pris sur mon temps pour rassembler des archives, les remettre en état, gérer les différents problèmes personnels et juridiques qui ont été soulevés. J’ai récemment fait le compte : j’ai supervisé la publication de seize CD’s au cours des dix dernières années. Seize ! Tu te rends compte ? Je n’attendais pas particulièrement à en être remercié mais j’estime que suis en droit d’exiger une certaine gratitude ou qu’on se montre au moins poli avec moi. Cela n’a malheureusement pas été le cas ces derniers temps. A ce jour, j’estime ne plus avoir suffisamment d’envie et d’énergie à gaspiller pour que le groupe puisse continuer à fonctionner. J’ai accepté pendant quarante-cinq ans de jouer le rôle du médiateur du mieux que je le pouvais dans ce qui ressemblait plus souvent à un asile qu’à un groupe de rock. J’en ai assez. Je veux passer un peu plus de temps à m’occuper de Nash plutôt que de Crosby, Stills & Nash. J’ai besoin de me concentrer sur moi-même, quitte à ne plus voir David, Steve et Neil… pendant deux ou trois ans ! » (Sourire)

BE YOURSELF

« En réalité, c’est ma fille qui a eu l’idée de coordonner en 2010 cet album de reprises : elle a contacté des groupes et des artistes contemporains pour qu’ils jouent, dans l’ordre d’origine, toutes les chansons de mon premier LP solo, Songs For Beginners (1971). J’ai été à la fois très flatté et très ému que cette nouvelle génération puisse ainsi s’intéresser à mon travail. J’ai aussi été ravi quand Robin Pecknold des Fleet Foxes a déclaré à plusieurs reprises qu’il avait été influencé par mes compositions ou ma voix. Cela me renforce dans cette certitude que j’ai toujours eu, à savoir que nous ne sommes que les maillons d’une longue chaîne qui ne s’interrompra pas avec la mort. C’est pour cela que je suis assez optimiste sur ce qui se trouve au bout du sentier sur lequel je marche sur la pochette de This Path Tonight. Tu veux vraiment savoir ce qui se trouve au bout de ce chemin ? C’est simple : au bout du chemin, il y a encore un autre bout de chemin à parcourir. » (Sourire)

 

Et pour clore ce court chapitre consacré à Graham Nash, voici une playlist concoctée par Matthieu Grunfeld.

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