Fontaines D.C. – L’oasis

Fontaines D.C.
Fontaines D.C. / Photo : Deborah Sheedy

Depuis combien de temps un groupe de rock n’avait-il pas ainsi retenu notre attention ? Rien de neuf pourtant sous le soleil intermittent de Dublin, juste cinq jeunes hommes âgés de 22 à 24 ans réunis dans Fontaines D.C., en équilibre entre bruit post-punk et pop mélodique, avec un chanteur charismatique jusque sur scène, pour faire du groupe l’une des révélations de l’année 2018, avant un premier album l’an prochain.

À l’heure de l’inflation informative, avec un nombre exponentiel de sollicitations de la part de nouveaux artistes musicaux, comment le quintette irlandais Fontaines D.C. est-il arrivé jusqu’à nos oreilles ? Grâce en soit rendue à mon aîné Philippe Kieffer, autrefois journaliste médias à Libération, puis initiateur dans les années 2000 de l’émission télévisée culturelle hebdomadaire Ubik sur France 5. Quand nous nous voyons ou même parfois au téléphone, il évoque régulièrement des noms la plupart du temps inconnus qui viennent s’ajouter à la liste déjà longue de ceux “à écouter d’urgence dès que possible”. Attention, il est ici question d’un tabou : même et surtout entre professionnels, pour qui citer des noms d’artistes reste l’équivalent de se renifler le derrière entre canidés voire de chercher à savoir qui a la plus grosse (liste), avouer son ignorance (“connais pas”, “pas encore écouté”) reste forcément mal vu, sinon aux frontières de l’infamie. Allez savoir pourquoi, le nom énigmatique de Fontaines D.C., déformation de Johnny Fontane, un personnage du film Le Parrain de Francis Ford Coppola (d’après le livre de Mario Puzo, inspiré par Frank Sinatra) alors que D.C. est pour Dublin City – ou bien est-ce peut-être le ton de conspirateur élu des dieux de mon interlocuteur ? – m’a incité à écouter ce groupe-là plutôt qu’un autre illico presto début 2018. Six vidéos plus tard, soit le nombre maximum de chansons disponibles en rapport avec leurs trois singles vinyle autoproduits, Liberty Belle/Rocket To Russia sorti un an plus tôt, HurricanLaughter/Winter In The Sun quelques mois plus tard, et l’alors tout nouveau tout beau Chequeless Reckless/Boys in The Better Land, tous “singles de la semaine” des boutiques Rough Trade, le doute n’est plus permis.

Ces jeunes gandins aux look de hipsters pour les trois cinquièmes ont réinventé la pierre philosophale en dignes héritiers d’un axe Velvet Underground/Ramones/The Fall, adeptes du less is more. Hallelujah, notre joie est telle que nous osons en toucher un mot de visu à Hugo Cassavetti, plume de référence à Télérama, sous la forme d’une accroche du style : “si aimé les Londoniens de Shame, merci d’essayer leurs cousins dublinois de Fontaines D.C.”. Début mai, un premier article paraît dans la presse française, trois jours avant d’assister à Bruxelles, dans le cadre du festival Les Nuits Botanique, avec Denis Quélard, l’âme du Pop’in, à notre premier concert de Fontaines D.C. en première partie d’Idles, autre quintette mais anglais, et du trio canadien Metz. Une interview est arrangée après huit chansons en une petite demie-heure, dont Too Real, quatrième single produit par Dan Carey (Franz Ferdinand, Hot Chip, The Kills, Toy…), comme l’album à venir. La conversation, chaotique, a lieu dans le jardin du Parc Botanique via leur tourneur français Antoine Voisin-Massé (ancien programmateur adjoint du MIDI Festival désormais chez Talent Boutique), puis sur place Trevor, manager à peine plus âgé que ses protégés et qui fait figure de sixième membre. À force de programmer le groupe dans la salle de Dublin où il travaillait, ce dernier a proposé à ses membres de devenir leur manager, et lorsque je lui demande s’il s’occupe d’autres artistes, il me répond dans un grand sourire que non, et ne veut surtout pas le faire !

Autour de Grian Chatten, chanteur pas vraiment timide mais résolument à part et seul natif de Dublin, se relaient Carlos O’Connell, guitariste barbu et chevelu, Conor Curley, guitariste glabre, l’autre Conor Deegan, bassiste échevelé et Tom Coll, batteur qui l’est tout autant. “Se relaient” parce que deux d’entre eux sont en grande conversation avec une paire de jeunes femmes de leur âge sans pouvoir déterminer si leur échange est de l’ordre du flirt ou de la fantitude. Les uns et les autres racontent avoir tous eu des groupes auparavant, comme Grian, d’abord derrière une batterie, tel James Osterberg pas encore Iggy Pop, et s’être connus à l’université en 2014, à l’exception d’un des guitaristes et du batteur qui étaient déjà ensemble à l’école auparavant. Lors d’une soirée étudiante, Grian remarque une guitare dans un coin et s’en empare pour chanter avec le renfort vocal de ses futurs camarades What A Wonderful World, standard popularisé par Louis Armstrong, pour le plus grand plaisir des personnes présentes ce soir-là. Fontaines, pas encore D.C. et alors sextette, commence par se faire les dents dans des bars et pubs dublinois, perd au passage le dénommé Josh O’Connor pour continuer à cinq, telle une société secrète en marge du monde réel, et mieux vivre dans un univers qui leur appartient, fait de discussions internes non-stop, où la poésie et la beat generation ont leur place. Fontaines D.C. rêve alors de marcher sur les traces de ses concitoyens Girl Band, quatuor masculin signé sur Rough Trade avec un album au compteur, Holding Hands With Jamie, en 2015. Grian résume l’état d’esprit collectif de l’époque : “S’ils le font, alors qu’on les connaît personnellement et sont comme nous finalement, on peut le faire aussi : être signé par une maison de disques connue et faire des concerts à l’étranger”. Carlos, d’origine espagnole, arrange à l’été 2017 une petite tournée de 4 dates de Valladolid à Madrid via Santander et Cadix. Comparé pour son chant déclamé à Mark E. Smith de The Fall, le placide Grian accepte tranquillement le compliment avant de répondre : “Un concert est comme une conversation, éventuellement une engueulade. Il faut qu’il y ait du répondant dans la salle pour que le niveau d’intensité s’élève. Sans aller jusqu’à l’affrontement, ça peut éventuellement ne pas accrocher avec le public. Mais même les Espagnols, qui nous découvraient sans forcément comprendre nos paroles, avaient plutôt l’air d’apprécier.”

Fontaines D.C. revendique haut et fort l’identité dublinoise de The Pogues mais glisse au passage apprécier aussi The La’s, un des champions de Liverpool. Guère étonnant, tellement cette ville anglaise de l’autre côté de la mer, face à Dublin, a connu d’immigration irlandaise. Sauf que The La’s était avant tout le véhicule du seul Lee Mavers, quand Fontaines D.C. fonctionne comme un collectif. Le point commun est peut-être à chercher dans un son difficile à capturer sur disque… Il s’agit peut-être là du seul nuage noir à l’horizon pour Fontaines D.C. : signé sur le label londonien Partisan (Idles, The Black Angels, John Grant, Cigarettes After Sex…), le quintette sort en cette fin d’année 2018 un quatrième single, Too Real/The Cuckoo Is A-Callin’, le premier pour Partisan, enregistré par Dan Carey en avant-goût de l’album en 2019, et le son semble tout d’un coup trop poli. Qu’importe, après des débuts français au festival ardennais Cabaret Vert fin août, puis deux concerts fin octobre à l’Ubu de Rennes et à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, nos cinq chouchous font enfin leurs débuts parisiens ce jeudi 22 novembre en ouverture de la deuxième soirée du trente-et-unième Festival des Inrocks.

Nous avions quitté Fontaines D.C. à regret voici six mois pour rejoindre notre hôte bruxellois. De son côté, l’infatigable Denis avait suivi en ville jusqu’au bout de la nuit alcoolisée les deux Conor avant qu’ils ne s’envolent avec Grian, Carlos, Tom et Trevor pour quelques heures de transit dans un aéroport italien, puis reprendre un autre avion vers Liverpool dans le cadre de Sound City et y jouer en concert avant de rentrer enfin au pays dormir un peu : quelle joie les déplacements low cost ! Nul doute que pour rejoindre Paris depuis Dublin le jour même, Fontaines D.C. qui assurait la veille dans sa ville la première partie de Shame au Tivoli après avoir fait de même pour Franz Ferdinand à l’Olympia local en février, a eu droit cette fois-ci à un vol direct. Parmi ceux qui les attendent de pied ferme, le photographe émérite Richard Dumas, premier guitariste des démos d’un certain Étienne Daho à la fin des années 70, et qui en a vu d’autres, conquis par leur prestation à l’Ubu de Rennes, a donc rallié la capitale française pour l’occasion : quiconque goûte en chair et en os à Fontaines D.C., abreuvé aux meilleures sources, éprouve alors le besoin d’y revenir au point de les écouter jusqu’à plus soif.

Dates françaises en 2019 : festival GéNéRiQ à Besançon (La Rodia) le 7 février / Dijon (La Vapeur) le 10 février / Grenoble (La Bobine) le 8 février.

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