Distance, Light & Sky, Gold Coast (Glitterhouse)

En matière de musique comme en toute chose, l’évidence ne s’impose pas toujours avec la brutalité instantanée du coup de foudre. Elle finit parfois par surgir au terme d’un cheminement tortueux, parsemé d’erreurs et de doutes. En l’occurrence, tout a commencé par une première rencontre manquée lorsque, sollicité pour chroniquer à sa sortie Casting Nets (2014), le premier album de Distance, Light & Sky, j’avais choisi de décliner.

Superficiellement rebuté par l’austérité de ce folk aux longs méandres atmosphériques, pas assez attentif ou patient pour en saisir à chaud la puissance inspirée, j’avais alors sans doute préféré concentrer mon attention sur d’autres œuvres au charme plus clinquant mais dont le souvenir s’est bien vite estompé. Aucun des noms figurant au générique n’était parvenu à retenir davantage mon attention défaillante, pas même celui de Chris Eckman. Pourtant, au fil des mois et des écoutes,  les premières compositions du trio que le leader de The Walkabouts  forme désormais avec la chanteuse néerlandaise Chantal Acda et le percussionniste de jazz Eric Thielemans s’étaient peu à peu incrustées en haut des piles de disques vacillantes, émergeant comme par miracle du magma bordélique provoqué par plusieurs décennies d’accumulation incontrôlée et amplifié par les déménagements successifs. La faute originelle étant dûment avouée, l’occasion d’obtenir l’autre moitié du pardon se présente aujourd’hui sous la forme d’un second album tout aussi remarquable – peut-être même davantage – que le précédent.

Enregistrées du côté de Prague et dans les conditions du live, merveilleusement mises en son par le très expérimenté Phill Brown (ancien ingénieur du son des studios Island dans les années 1970), ces neuf chansons offrent au plaisir de la découverte une multitude d’échos et de nuances, de souffles subtils et de respirations inattendues qui dépassent de toute part les limites génériques du simple folk mélancolique. En témoigne notamment Slowed It To A Stop, un titre qui surprend presque par son évidence, et qui évoque par ses tonalités mélodiques les accents perdus des vieux tubes de R.E.M.

Parfois, le trio se plait à dériver jusqu’aux confluences avec les mondes du jazz – qu’Acda et Thielemans ont pris l’habitude de côtoyer – au point même qu’on croirait parfois entendre un album de Leonard Cohen publié par Manfred Eicher sur ECM. Mais, une fois encore, c’est bien l’accord très original entre les voix des deux interprètes qui bouleverse le plus souvent. On ne compte pourtant plus les duos mixtes qui se sont édifiés en jouant du contraste entre le goudron et l’éther ou des frottements entre le papier de verre et la soie. Acda et Eckman s’extirpent sans peine de ce lot trop souvent commun – et réussissent au passage là où Mark Lanegan et Isobel Campbell ont largement échoué – en refusant de décliner une énième version de La Belle Et La Bête ou de rejouer les cartes rebattues de Nancy & Lee. Dépourvues de toute tension ouvertement érotique, de toute connivence résolument sexualisée, leurs interprétations croisées imposent une forme de complémentarité différente où le féminin et le masculin semblent aspirer non pas à la fusion mais au prolongement indéfini du dialogue musical. Plutôt que de singer le couple qu’ils ne sont pas, ils parviennent à faire entendre deux facettes indissociables d’une même entité. Une redéfinition des rôles qui contribue largement à entretenir une fascination troublante pour un groupe et un album que, toute honte bue, on n’est pas prêt d’abandonner.

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