Comateens : Manhattan Transfert

Comateens
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C’est l’histoire de la France, terre d’asile. C’est l’histoire d’artistes dont l’Hexagone s’entiche, dans la foulée de journalistes et de chanteurs frenchy but chic. C’est une histoire qui commence à New York, à la toute fin des années 1970. C’est le New York de tous les possibles, le New York des quartiers où on ne fout pas les pieds, le New York des Guerriers de la Nuit, le New York où l’on croise des (plus ou moins) jeunes gens inspirés par Rimbaud, Warhol, Genet, Verlaine, Godard, Kerouac, le Velvet, Ginsberg, Roxy, Truffaut, Bowie… C’est le New York de Patti, Debbie, Basquiat, de la no-wave, de la disco qui fait battre les corps, des jeunes femmes qui se rêvent stars, d’artistes qui s’exposent dans les rues… C’est 1978. L’automne. Nicholas, né Dembling, se surnomme North et s’acoquine avec Ramona Jan pour explorer un rock ascétique, une pop minimaliste. Ils enregistrent quelques originaux, une reprise d’un morceau de Bowie, font appel à un batteur mais lui préfèrent les services d’une boite à rythmes – oui, comme Suicide. C’est alors que Lyn Byrd (née Billman) entre en jeu, une jeune femme qui cultive le mystère derrière ses Wayfarer : elle gère ladite boite sur scène puis se glisse derrière un synthétiseur. Il y a un single autoproduit, une apparition sur une compilation qui eut son quart d’heure de gloire, Marty Thau Presents 2 x 5 (cinq groupes chantent deux chansons chacun, simple à comprendre) et dont le sous-titre était sans équivoque : New York – New Wave. Et puis, Ramona décide de partir alors que le couple – à la scène mais aussi à la ville – accueille en avril 1980 le petit frère de Nic à la guitare, le prénommé Oliver.

Dans son coin de Manhattan, le trio configure des chansons synthétiquorganiques empreintes d’un rétrofuturisme contagieux, dont les fondations sont cette boite à rythmes brinquebalante, un clavier vintage, une guitare légère et une basse bien ronde. Elle et eux adorent le noir pour sortir le soir et auraient été parfaits au générique d’un des premiers films de leur contemporain Jim Jarmusch. Mais leur musique faussement insouciante séduit surtout des Français curieux et mélomanes qui trainent alors de ce côté-ci de l’Atlantique. À commencer par le dénommé Fabrice Nataf, mélomane averti futur directeur de Virgin France et manager d’Etienne Daho, qui prend le groupe sous sa coupe, le produit et publie en 1981 dans l’Hexagone sur sa structure Call Me un premier album sans titre, dont le rose de la pochette annonce la couleur.
Pop songs exquises (l’irrésistible Late Nite City) ou inquiétantes (l’obsédante Ghosts), versions stylées de Bowie, donc (TVC15) et The Lovin’ Spoonful (Summer In The City), mélodies décalées chantées au masculin ou au féminin sont les atouts d’un disque qui pourrait être le cousin joyeux du Colossal Youth de Young Marble Giants (1980). Pour les amateurs du détail et les fans compulsifs, ce n’est pas exactement cette version* que l’on retrouve dans le magnifique coffret imaginé aujourd’hui par Tricatel. Ni d’ailleurs son pendant américain, dont la jolie pochette, elle, a été reprise pour l’occasion – une magnifique photo en noir et blanc d’un jeune photographe français qui débute à l’époque, Jean-Baptiste Mondino. Mais qu’importe, car l’essentiel est ailleurs. C’est 1981 encore, et les Comateens débarquent en France, jouent entre autres à Paris au fameux club Rose Bonbon (décidément) avec un groupe balbutiant en première partie nommé Indochine. C’est alors qu’ils croisent Mondino et se font croquer pour la somptueuse pochette du maxi Ghosts par le dessinateur en vogue Serge Clerc, un ami de Fabrice Nataf qui va être l’un des plus éminents ambassadeurs de l’école dite de la…“ ligne claire” et mettra souvent en scène le rock dans ses aventures dessinées. C’est l’époque des amitiés qui se tissent, avec le journaliste Jean-Eric Perrin ou le jeune chanteur Etienne Daho. Ce dernier ne va d’ailleurs pas tarder à croquer la Grosse Pomme en compagnie du trio le temps d’un été torride – une amitié qui va rimer avec fidélité puisque le chanteur français collaborera souvent avec les Américains, en reprenant ou adaptant des compositions d’Oliver ou Nicholas (Soudain sur Eden, parmi tant d’autres).

Mais avant tout cela, le groupe donne de l’ampleur à ses chansons, insiste sur le côté funky des guitares, tout en restant toujours très Chic, et publie en 1983 son deuxième album chez Virgin. Entre frimas new-wave (la splendide Cold Eyes, ballade synthétique pour éconduits romantiques), hymnes pour discothèques aux murs recouverts de papier aluminium (Get Off My Case et The Late Mistake), un clin d’œil au rap (Ice Machine) et une chouette reprise du Uptown de The Crystals, Pictures On A String permet aux Comateens de dépasser le seul cadre des initiés, avec passage télé et pour moi, un concert raté à Paris dans le cadre des soirées 120 Nuits qui se sont tenues (trois jours par semaine et… pendant cent-vingt nuits) au Palace – j’y ai aussi raté Cabaret Voltaire, mais je crois que c’est une autre histoire.

Comateens
Comateens on a TV set / Photo via page facebook Comateens

Une grosse année plus tard, Lyn, Nic et Oliver reviennent avec Deal With It, un disque aux couleurs acidulées et aux accents insouciants, sans aucune reprise cette fois mais porté par deux hits d’une rare perfection, Resist Her et Don’t Come Back. C’est la bande originale rêvée d’un film de John Hughes qui n’a pas été réalisé, c’est l’époque où tous les groupes britanniques veulent vivre le rêve américain (Psychedelic Furs et Simple Minds en tête) alors que Comateens embrasse à pleine bouche la dolce vita à l’européenne. C’est le plateau de Canal + en “prime”, ce n’est encore que le début d’une histoire qui promet une adolescence éternelle. Oui, mais non. Car en 1987, Oliver décède brusquement – une complication liée à l’héroïne, cette addiction à la con dont on aurait bien voulu que plusieurs de nos héros se privent (enfin surtout moi qui n’ai jamais été fasciné par le monde interlope de la drogue). Nicholas se rebaptise West, le duo survivant sort un beau disque en noir et blanc, West & Byrd, avec parmi les chansons la dernière composition d’Oliver, Stay With Me – que Daho a chanté en VO sur Pour Nos Vies Martiennes, en 1988. Ce sera presque le chant du cygne, si l’on excepte la parution deux ans plus tard d’une compilation assez parfaite, signée Comateens et agrémentée d’une reprise enregistrée pour l’occasion, A Place For Me, adaptation en anglais d’une chanson de… Julien Clerc et Françoise Hardy, Fais-Moi Une Place.

Depuis, contrairement à bon nombre de leurs contemporains et malgré la réhabilitation de tout un pan des années 1980, le groupe n’avait pas eu le droit à un retour sur le devant de la scène – albums jamais réédités jusqu’à ce jour, si l’on excepte en 2007 la sortie CD en tirage limité du premier album orchestré par Nicholas… Au-delà de la preuve définitive de l’histoire d’amour qui lie Comateens à la France, l’initiative de Bertrand Burgalat – présent parmi le public du concert du Rose Bonbon –, est un acte d’intérêt général, en offrant la possibilité pour une somme plutôt modique de (re)découvrir l’un des groupes les plus factieux et talentueux de ces années-là, à la tête d’un répertoire qui a gardé toute sa spontanéité et ses charmes adolescents, comme si ces chansons aux éternelles formes juvéniles étaient toutes des Dorian Gray.

* Pour faire simple (?), le tracklisting de la version Tricatel marie les éditions françaises et américaines originelles : elle propose en effet la fameuse reprise de l’instrumental The Munsters Theme (générique d’une série américaine des années 1960 racontant les (més)aventures d’une famille de monstres), absente de la VF de 1981 – et accueille aussi Keep The Pace, une sorte d’hommage sous amphétamine à Tamla Motown, qui remplaçait ladite reprise sur l’album paru dans l’Hexagone. C’est l’un des morceaux historiques du groupe – dans une autre version, Cool Chick fut le premier single autoproduit, réalisé en 1979 – qui fait finalement les frais de ces chaises musicales, alors qu’il figurait sur l’édition américaine.

COMATEENS, 1980 – 1985, est disponible sur le label Tricatel.

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