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Hand Habits, Fun House (Saddle Creek)

On appelle tel disque, dans l’embarrassant jargon de la critique francophone, un grower.

Un disque qui grandit.

Et qui nous grandit.

Et tel il est, ou mieux encore, un disque casse-pied, un formidable disque, un disque qui enseigne, qui ne se range pas en trois minutes comme une agréable paire de chaussons prête à être dégainée. Les choses bougent. Elles passent. Sans place.

En cherchant trois mots à placer en entrée de chronique – ça donne du cœur à l’ouvrage – ça sort de la zone de confort – je suis tombé nez à nez avec un mujo seppo de Shundo Aoyama à la conclusion inévitable : “Seul l’être humain se plaint de la nature transitoire de toute chose.” Qu’il vaut mieux glisser discrètement dans le ventre des choses. Continuer la lecture de « Hand Habits, Fun House (Saddle Creek) »

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Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral)

Dilettante. Le mot est lâché. Comme un paradoxe, si on entend par là l’incapacité d’accomplir, par défaut de volonté ou de ténacité, le travail artistique jusqu’à son terme. Quatre albums – et même un peu plus – en cinq ans : Mo Troper n’est manifestement pas de ceux qui rechignent à l’effort. Généralement adepte de la basse fidélité, le musicien de Portland s’était même risqué pour son précédent album – Natural Beauty (2020) – à gommer quelques aspérités sonores et à peigner quelques-unes des mèches rebelles de ses chansons ébouriffées. Le résultat était en tout point remarquable – du Jellyfish en cure d’austérité budgétaire, pour résumer – mais était passé à peu près totalement inaperçu en plein printemps confiné. Déçu et sans doute un tantinet frustré, Troper s’en est retourné à ses premières passions bricolées. En Dilettante, donc, au sens le plus noble du terme, puisqu’il s’agit ici de vivre plusieurs vies pour composer plusieurs albums à la fois. S’engager dans l’impulsion du moment, accompagner en amateur la sensation isolée ou l’impression éphémère qui s’élèvent au rang d’expérience artistique. Et ce vingt-huit fois de suite. Vingt-huit, c’est bien le nombre de morceaux enregistrés à domicile en moins d’une semaine qui composent donc ce kaléidoscope musical touffu et fascinant. Continuer la lecture de « Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral) »

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Nicolas Paugam, Padre Padrone (autoproduction)

« Il est temps de dresser des temples
aux ouvriers où les pyramides sont nées,
le chantier patenté exige révérence,
à la lueur des bougies d’Esope
et de Manufrance, en France, en France
»

Parce que Nicolas Paugam a approché deux fortes têtes des affaires de la musique, Vincent Chauvier et son label Lithium quand il officiait avec son frère dans l’entreprise familiale Da Capo ou plus tard Bertrand Burgalat qui le mit à l’honneur de sa très scrutée chronique de Rock’n’Folk, on se dit qu’il en est lui-même une : une tête de pioche, un empêcheur de tourner en rond, un original. Pas grave s’il n’ira pas (pour le moment) imposer le tricot orange et le chapeau de paille dans les armoires impeccables (tendance costume de velours et synthétiques pastel) du label Tricatel, la collusion eut eût du chien. Continuer la lecture de « Nicolas Paugam, Padre Padrone (autoproduction) »

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Andrew Taylor And The Harmonizers, Andrew Taylor And The Harmonizers (Rock Indiana)

Écouter les mêmes notes ; ressasser les mêmes mots : depuis vingt ans, Andrew Taylor compose des chansons magnifiques et trop peu de gens s’en soucient. Le résumé des épisodes précédents tient donc en une seule sentence lapidaire et ce n’est sans doute la publication de ce nouvel album, vendredi prochain, qui infléchira radicalement la suite du récit. Rien ici n’est fait pour déjouer l’implacable réalisme des prévisions ni même les attentes des rares impatients, déjà séduits par l’œuvre considérable du petit maître écossais et de tous ses alias – Dropkick, The Boy With The Perpetual Nervousness. Continuer la lecture de « Andrew Taylor And The Harmonizers, Andrew Taylor And The Harmonizers (Rock Indiana) »

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Jerusalem In My Heart, Qalaq (Constellation)

Qalaq Jerusalem In My HeartA Granular Buzuk, un titre du deuxième LP de Jerusalem In My Heart (If He Dies, If If If If If If, 2015) qui exprime en une image frappante la singularité du projet multimédia du producteur libano-canadien Radwan Ghazi Moumneh. D’un côté le Bouzouki (« Buzuk »), un instrument à corde traditionnel du répertoire de la Méditerranée orientale. D’un autre l’adjectif « granulaire », qui renvoie à une technique de synthèse sonore bien connue des praticiens du sound-design aventureux. Une formule qui évoque un syncrétisme ethno-futuriste qui serait évidemment tout sauf arbitraire : on pense à Jon Hassel et son concept de « quatrième monde », comme esthétique de l’hybridation du modernisme avant-gardiste et des musiques dites « traditionnelles » – « Un son futuriste combinant les caractéristiques des différentes musiques ethniques et traditionnelles avec des techniques électroniques avancées ». Car les disques de Jerusalmen In My Heart explorent ces territoires aux frontières par définition indéterminées que constituent la rencontre des chants mélismatiques arabes et de l’expérimentation électro-acoustique. Continuer la lecture de « Jerusalem In My Heart, Qalaq (Constellation) »

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Cour de récré, s/t (Elefant)

« A chacun sa nouvelle vague,
mais la mienne est d’Hokusai »

C’est clair, fallait pas nous inviter : date de naissance – 1971, enfant conscient de 1977 à 1986, incollable pour déjouer toute la quincaillerie années 1980 brinquebalée par Cour de récré. D’abord les citations quasi texto (Le générique de Platine 45 dans Chanson cathartique, Le téléphone d’Elli & Jacno déguisé en Coeur cruel, Vice et Werther sous la mousse de Cache cache dans l’espace / Tétéou de Lio & Jacky), il ne manquerait plus que le disque sorte sur Vogue, ou que la pochette convoque Mondino ou Pierre & Gilles… Et puis ces sonorités à peine troublées par l’autotune (à moins qu’on ne soit en présence d’un vocodeur ?) sorties tout droit des compilations de technopop japonaise, produite par le YMO, Sakamoto, et les trucs catchy aussi bien chipés chez Dorothée, Indochine, Daho, Turboust que dans les tubes bizarres britanniques, « novelty », adorés par Lawrence. Bref, on est pas loin de la crise de foie, celle qui nous prenait après un anniversaire un peu trop arrosé de Fruité ou de Tang, un peu trop gâté de cigarettes en chocolat (celles qui avaient de la farine coincée entre le papier et le chocolat et quand on soufflait, ça faisait comme de la fumée, incroyable). Continuer la lecture de « Cour de récré, s/t (Elefant) »

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Magdalena Bay, Mercurial World (Luminelle Recordings)

Avant même de se lancer tête baissée dans un plébiscite sans filtre du premier album du duo américain Magdalena Bay, envie de tout simplement leur dire merci pour avoir eu le bon goût d’être à la hauteur des attentes. Une série de quatre singles égrainés au fil des mois, tous plus réussis, entêtants et dingues les uns que les autres, culminant sur un album du même acabit, délesté de toute faute de goût. Ne pas décevoir quand on a tout à prouver, quel bonheur en ces temps de blase. Et d’autant plus grand quand il vient d’un groupe qui jusqu’ici avait eu un léger goût de divertissement, façon verre de grenadine un peu trop dilué. Certes il y avait eu de charmants EP et d’amusants petits tubes (How To Get Physical, bas du front mais diaboliquement attachant), mais il était difficile de parier un organe sur le fait que la paire serait capable de sortir de son chapeau le meilleur album de synthpop de 2021. Et pourtant, nous y voilà, il s’appelle Mercurial World, et il est im-pe-ccable. Continuer la lecture de « Magdalena Bay, Mercurial World (Luminelle Recordings) »

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Rémi Parson, Pour un empire (Isolaa Records)

« J’écris ces phrases avant la nuit,
ce rideau d’enfer qui tombe dru
et tout détruit,
c
hemin de croix,
machines arrières
»

Tout est histoire d’impressions. Quand je chausse mon casque Audio-Technica emprunté au travail, j’attends d’un disque qu’il me promène : géographies intimes ou imaginaires, dimensions temporelles, souvenirs, mondes alternatifs… Je n’attends que ça. A l’écoute de Pour un empire, je suis servi. Continuer la lecture de « Rémi Parson, Pour un empire (Isolaa Records) »