#38 : The Red Crayola, Born In Flames (Rough Trade, 1980)

The Red Crayola, sur pouf jaune.
The Red Crayola, sur pouf jaune.

Loin de moi l’idée de venir piétiner les plates-bandes de mes petits camarades mais quand je tombe en pâmoison devant certaines mixtapes labelisées I Like 2 Stay Home, je ne résiste pas toujours à venir m’ancrer, telle une vilaine tique, sur la bande sonore. D’autant que ça me dédouane totalement de trouver un quelconque lien entre confinement et 45 tours sélectionné. Ce fut le cas avec les Zarjaz (cf #14), et après m’être délecté de cet indispensable The Godlike Genius of Mayo Thompson, je réitère en ajoutant un tout petit caillou à l’édifice.

Quand Mayo Thompson met pour la première fois, en 1978, les pieds dans les locaux de Rough Trade à Londres, sa seule motivation est d’écouter 30 Seconds Over Tokyo de Pere Ubu, un groupe qui, lui semble-t-il, devrait l’intéresser. A ce stade, notre homme a déjà plusieurs vies et plusieurs ports d’attache derrière lui.
A Houston, il a, tel un Zappa texan, réuni une petite bande d’allumés, The Familiar Ugly, pour monter The Red Crayola et sortir en 1967 le très free Parable of Arable Land, bourré d’improvisations en tous genres et sur toutes sortes de (non) instruments, un disque suffisamment aventureux pour accueillir sur deux morceaux Rocky Erickson échappé des 13th Floor Elevators.
A New York, au début des années 70, il travaille comme assistant dans l’atelier de Robert Rauschenberg, mais ça ne dure pas, la prétention de la scène artistique américaine lui sort rapidement par les yeux.
Il rejoint Londres où il s’acoquine avec la bande en pleine expansion de Art & Language, quatre enseignants de Coventry (mais bientôt cinquante personnes de tous horizons, dont une jeune cinéaste du nom de Kathryn Bigelow qui n’imagine pas qu’elle deviendra en 2010 la première – et toujours seule – femme à recevoir l’Oscar du meilleur réalisateur) qui ont commencé à théoriser l’art conceptuel. Sur trente-cinq années, Mayo Thompson enregistrera plusieurs albums sous l’étiquette Art & Language, et quand il passe pour la deuxième fois la porte de Rough Trade, c’est pour tenter de fourguer des exemplaires de Corrected Slogans, un album de 1976, à Geoff Travis. Le courant passe et, fort de son expérience des studios d’enregistrement, il est embarqué dans l’aventure du label pour produire des groupes émergents – et par extension devenir une figure majeure et texane du post punk british. Le majeur Thompson se fait les dents sur le Monochrome Set et les Stiff Little Fingers, avant de froisser Green Gartside de Scritti Politti qui ne voudra plus entendre parler de lui, puis de perturber Vicky Aspinall, la violoniste des Raincoats, en l’initiant à John Cale et au drone.
On en est là, peu ou prou, quand il décide de réactiver sa collaboration avec Art & Language, avec qui il était en froid – cela dure rarement longtemps, mais Mayo se brouille facilement.
Après avoir pondu un texte très militant avec ses camarades (mais lesquels précisément ? No idea), Mayo Thompson réunit en studio un bizarre love triangle constitué de Gina Birch, bassiste et chanteuse au sein des Raincoats, Lora Logic, qui a formé Essential Logic après avoir été virée de X-Ray Spex, et enfin Epic Soundtracks, cheville ouvrière avec son frère Nikki Sudden des Swell Maps alors en voie d’extinction. A l’arrivée, un sautillant et quasi funky morceau d’agitprop chanté à deux voix, qui n’aurait pas déparé chez Scritti Politti.
Aujourd’hui, Born In Flames, le disque est nettement moins connu que Born In Flames, le film, et conséquemment que Lizzie Borden. Enfin, les Lizzie Borden, devrais-je dire. La première est cette jeune femme, icône du folklore américain – les gamins ont longtemps sauté à la corde en chantant Lizzie Borden took an axe – puis du féminisme, accusée d’avoir assassiné son père et sa belle-mère à coups de hache en 1892. La seconde tient son nom de la première. Fille d’un agent de change de Detroit, Linda Elizabeth Borden se rebaptise Lizzie à l’âge de 11 ans, pavant ainsi très tôt, par ce premier acte de rébellion, sa voie de cinéaste militante. En 1983, elle achève Born In Flames, tourné en grande partie dans le Lower East Side, comme la plupart des films de la New York New Wave, ceux d’Amos Poe, Eric Mitchell, Bette Gordon ou encore Scott & Beth B. Dystopie post-révolutionnaire mettant en scène des groupes de femmes noires et blanches se servant des radios pirates pour éveiller les consciences et, tant qu’on y est, déstabiliser le gouvernement, Born In Flames est devenu une référence incontournable pour de nombreux mouvements activistes, pas uniquement féministes. Le film est traversé de figures bien connues du militantisme ou de la scène musicale, telle Florynce Kennedy ou Adele Bertei, sans oublier Kathryn Bigelow, déjà dans la place. A côté du Newtown des Slits, le morceau de Red Crayola résonne à quatre reprises, et Lizzie Borden n’a jamais fait mystère d’avoir repris le titre de la chanson pour intituler son film.
N’empêche qu’on peut encore s’amuser au jeu de la poule Lizzie et de l’œuf Mayo. La cinéaste a en effet tourné et monté son film sur une durée de cinq ans. Si l’on se réfère à la rondelle du 45 tours, Mayo Thompson fait déjà référence à ce film en devenir puisqu’on peut effectivement y lire en petits caractères, avant le titre, The Social Democrat’s Song from a film by Lizzie Borden
So who’s first ?

Pas moi en tout cas, concernant Mayo. Dès lors, je ne peux que vous enjoindre à écouter à nouveau, deux fois, trois fois, cette addictive mixtape, tout en psalmodiant God Bless The Red Krayola & All Who Sail With It.

A réécouter : I Like 2 Stay Home #37 : The Godlike Genius of Mayo Thompson par Elsa Kuhn

Une réflexion sur « #38 : The Red Crayola, Born In Flames (Rough Trade, 1980) »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *