#35 : Stockholm Monsters, All At Once (Factory, 1984)

Stockholm Monsters, syndrome de la lose.
Stockholm Monsters, syndrome de la lose.

Sur un plateau de la balance, Virna Lindt, Attention Stockholm. Sur l’autre, les Stockholm Monsters. Brett Anderson et Suede n’ont pas été convoqués.
Aller chercher l’exception suédoise en matière de stratégie sanitaire, le pays européen où le confinement n’est pas appliqué, où les écoles, les bars et les restaurants restent ouverts, où le port du masque est considéré comme une option négligeable, tout ça juste pour justifier le choix d’un disque, pointe clairement, après cinq semaines de circonvolutions, les limites de l’exercice. Mon stock d’alibis commence à dangereusement s’épuiser, la valse des sélectionnables s’emballe. Certains, assurés d’être sur la feuille de match, se sont vus renvoyés en tribune. D’autres, suite à je ne sais quel tour de passe-passe, ont été extirpés du chapeau. Si la France compte 60 millions de sélectionneurs, j’en viens à reconsidérer la position d’un Didier Deschamps avec un peu moins d’animosité. Retour à l’arbitraire, donc.
Considérant le match du jour, le nom de l’équipe va être déterminant. The Compact Organization ayant eu les honneurs du post #1, et Factory étant jusqu’ici aux abonnés absents, c’est vers Palatine Road que se tourne le jury.

Why do they speak when there’s nothing to say ? (extrait de Fairy Tales)

Stockholm Monsters, donc. Moins les vilains petits canards ou les moutons noirs que l’angle mort de Factory. Un groupe qui, non content de se tenir à l’écart de toute attention, d’esquiver la méthode du discours, a concentré sur lui une large part de l’animosité de la presse britannique.
Trio ado à la base, avant de devenir sextet, le groupe se forme à Burnage, une banlieue du sud de Manchester, à la réputation (forcément) peu flatteuse, et qui se trouve être le terrain de jeu des Gallagher bros, alors âgés de 11 et 8 ans. Tony France, le chanteur, trouve le nom en associant le titre d’un album de Bowie qui vient de sortir (nous sommes en 1980) avec un nom de pays (c’est lui qui le dit) qui sonnait bien. Zéro référence à un quelconque syndrome né d’une prise d’otage, ce n’est pas le genre de la maison – quand bien même le groupe sera conspué pour ses soi-disant prétentions arty et intellos, les malheureux ayant commis l’affront de faire sur le titre E.W. une référence à Edgar Wallace, un auteur de polars anglais.
Rob Gretton et Peter Hook les repèrent lors d’un concert et Tony Wilson (qui les aura toujours à la bonne, contrairement à Crispy Ambulance qu’il déteste) les signe sur Factory. Leur premier single, Fairy Tales, est confié en 1981 à un Martin Hannett au bout du rouleau et bientôt poussé vers la sortie. Hannett s’implique un minimum et ne trouve rien de mieux que rajouter tout le long du morceau une flûte à bec pour accompagner la voix de Tony, encore à tâtonner. Le single (FAC 41) ne sort qu’en février 1982, sous deux pochettes de couleurs différentes, une verte, l’autre bordeaux.
C’est avec Happy Ever After (FAC 58), chanson de rupture faussement joviale, que le son Stockholm se précise et prend forme. Un orgue de foire mène la danse, la trompette de la jeune Lindsay Anderson fait son apparition et Tony France prend confiance, allant jusqu’à ce faire bateleur sur la version longue de Soft Babies, la B-side. L’adresse à l’auditeur n’est pas encore à l’ordre du jour, mais les monstres commencent à maitriser leur cabaret de poche et apparaissent rétrospectivement comme des proto Band of Holy JoyBertolt Brecht et les propensions gérontophiles en moins. Sous l’alias commun Be Music, Peter Hook a pris les commandes du studio et redouble d’affection pour ses poulains, allant jusqu’à s’occuper de la sono durant certains concerts. Concerts où Tony, pour mettre sous cloche sa vulnérabilité naturelle, commence à surjouer son personnage de Joel Grey mancunien et autiste, déclenchant par la même occasion les premières salves de l’ire du NME – qui atteindra son acmé au moment de la sortie d’Alma Mater, épinglé d’un lapidaire close to the worst thing I’ve ever heard. Les Monsters s’en balancent, eux qui semblent n’avoir comme seule ambition de faire quelques concerts, sortir une poignée de singles, et occasionnellement déclencher des bagarres à l’Hacienda (FAC 51) fraichement ouverte. Après un EP trois titres chez Factory Benelux (le terrassant Miss Moonlight, propre à éclipser la concurrence), le groupe s’attelle, toujours sous la houlette du mentor Hookie, à l’enregistrement de son premier album, précédé de All At Once (FAC 107) qui, avec ses percus tribales, sa guitare Sumner, et la trompette opérant un cousinage Dislocation Dance, semble ravir et rassurer tout le monde sur Palatine Road. Tony France peut fanfaronner They knock me down / But I won’t fall over, il aura bien du mal à se remettre de l’échec autant critique – Julian Henry, qu’on ne va pas tarder à adorer sous le moniker The Hit Parade, est un des rares, dans les colonnes du Melody Maker, à le défendre – que public – il s’en vend 4000 ex – d’Alma Mater. Le groupe réplique en insultant Rough Trade sur un maxi single (How Corrupt Is Rough Trade ?), tenant de manière un peu expéditive et aveugle le distributeur pour responsable de ventes si faibles. Le ver est dans le fruit et Factory, en ces temps où les Smiths sont rois, peine à faire remonter sa côte d’amour.

Partyline – titre à double tranchant, politique ou festif ? – aurait du être un hit. Ce ne sera que le chant du cygne des Stockholm Monsters. Le plus triste est que Tony a tout anticipé. Après avoir harangué la foule (chétive) – just sit down and listen to me – pour délivrer sa diatribe anti-Tory, il tire sa révérence dans un finale dantesque, sous un déluge d’Emulators. Tony Wilson (qu’un membre du groupe a pourtant rossé devant l’Hacienda un soir de décembre 86), Rob Gretton, New Order, les Strawberrys studios, la famille, les potes et les gangs de Burnage, jusqu’à ces robbing bastards qui, cambriolant leur local, les ont délestés de tous leurs instruments, tous dans un ultime baroud d’honneur sont remerciés. And the last goodbye from the Stockholm Monsters ! Auto-immolation et rideau ! Tapis dans l’ombre, ces filous de Happy Mondays – qui entre la ligne du parti et la 24 Hour Party n’ont pas eu l’ombre d’une hésitation – s’empresseront de récolter tout ce que leurs petits camarades ont semé. Les Monsters auront jusqu’au bout ricoché dans la lose. Et puisque l’histoire est écrite par les vainqueurs (ça fait quand même mal aux seins de finir par citer Brasillach), laissons le dernier mot à Noel Gallagher : Je me suis branché dans la musique de bonne heure parce que tous les mecs plus vieux qui vivaient dans notre coin écoutaient un groupe appelé les Stockholm Monsters. C’est le premier groupe à être jamais sorti de Burnage. De là, on va vers Joy Division, New Order et puis les Smiths, et puis les Roses, et puis les Mondays. Et puis on forme son propre groupe. 

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