#30 : The Danse Society, 2000 Light Years From Home (Society Records, Arista, 1984)

The Danse Society, ombres et lumière.
The Danse Society, ombres et lumière.

Je lorgne sur certaines des listes de confinement qu’on a bien voulu me communiquer. Ad Astra, First Man, The Right Stuff (L’étoffe des héros), l’immarcescible 2001 : A Space Odyssey. Notre besoin d’évasion est impossible à rassasier – et nous pousse à maladroitement singer Stig Dagerman. Amusant comment toutes ces histoires de conquête de l’espace convoquent la claustration comme condition sine qua non. D’autres relisent Voyage autour de ma chambre, de Xavier De Maistre, et l’adoptent comme vade-mecum pour la période repliée. Ca vaut toujours mieux que Les Carnets du sous-sol, me direz-vous.

2000 Light Years From Home, curieusement je n’y ai pas pensé tout de suite. Je ne possède pas la version originale en 45 tours, d’ailleurs j’ai peu de Stones sous ce format, et pas les meilleurs qui plus est. Alors va pour The Danse Society. Nous sommes en 1984, à nouveau, et l’année précédente les Sisters Of Mercy cherchaient déjà un abri, l’hilarant Andrew Eldritch maltraitant de sa voix de rogomme Gimme Shelter. Pierre qui roule n’amasse pas nos remugles goths. Pas encore. Pour nombre d’entre nous nés dans le pli des 60’s, l’initiation aux Rolling Stones s’est opérée drapée de noir, voire sous le signe – ou l’aile – du corbeau. Certes, parce que nos pères nous y avaient incités, on pouvait brailler aquanteguetteno à huit ans, sans avoir la moindre idée de la frustration sexuelle qui à l’adolescence viendrait nous tanner – et nous ferait de toute façon préférer la version de Devo. Puis viendraient dans l’ordre Angie, Fool To Cry, Miss You, Emotional Rescue. Pas de quoi pavoiser, allumer un cierge à Keith, ou commencer les drogues – ni les arrêter, rayez la mention inutile. Les Stones nous faisaient au mieux taper du pied, mais définitivement pas rêver. Play With Fire, on n’imaginait pas, pauvres de nous, Love In Vain ou Sister Morphine encore moins.
Avant de jouir de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, il nous faudra en passer par le prisme du noir, ce genre qui avait nos faveurs et que nous nommions new ou cold wave – on apprendra la locution post punk plus tard. Paint It Black, par Jad Wio pour les retardataires, ou, pour les plus émancipés d’entre nous, par les Mo-Dettes. Relayés, comme évoqué plus haut, par les Sisters ou Danse Society, seconds couteaux vite émoussés après un premier album correct en 1982, Seduction, clôt par la première version à parvenir à nos oreilles profanes du In Heaven d’Eraserhead – que je ne tarderai pas à découvrir, halluciné un samedi soir tard, à l’Escurial Panorama.

Quelle impulsion, alors que de discrètes tâches colorées venaient égayer mes tenues et que je commençais à prendre mes distances avec la vague froide – le pénible Tocsin de Xmal Deutschland sonnerait pour moi le glas de ces années-là – me ferait acquérir ce disque ? Son format, indubitablement. Double 45 tours, pochette gatefold, et un élégant et automnal collage photographique sur les quatre faces de l’objet.
A la réécouter aujourd’hui, la version Danse Society surprend par son côté allégé, light justement, là où l’original se tenait toujours à la limite de la boursouflure. Ici, l’option soustraction est privilégiée, les effets et stéréotypes goths évacués – la basse est étonnamment mixée en retrait – et les vocaux d’une sobriété bienvenue. Pas d’interminable coda non plus, alors que les Stones se prenaient vraiment les pieds dans le tapis persan au moment de clore.
A réhabiliter, voire à considérer, mais pas autant qu’une autre version sortie au même moment – janvier 84 – sur le second album de WC3 (ex-A trois dans les WC), La Machine infernale. A mille lieux de la sagesse et de la retenue prisée chez Danse Society, le groupe de Saint-Quentin (dans l’Aisne, un bled qui devait présenter des atours de pénitencier, et où Johnny Cash n’a jamais joué live) pilonne et martyrise la matrice Jagger – Richards, rebaptisée 2000 (Sex) Light Years From Home, le chant bousculé réduisant la distance de sécurité à 600 années lumière. Reno (pas encore Isaac) éructe en serrant les dents, et la basse d’Eric tabasse tous ceux que la Linn Drum n’a pas étendus pour le compte. Derrière l’orgue en majesté satanique, Janine injecte insidieusement le venin qui fait se convulser le morceau. Play It Loud – Play It Sex invective la pochette intérieure de l’album. Gimme danger y aurait également eu sa place tant est toxique cette Machine Infernale qui célèbre les noces de Cocteau, d’Orwell (nous ne sommes pas en 1984 pour rien), de Frankie Teardrop et du JG Ballard de Crash, avec Kraftwerk et La Mettrie pour témoins.
Funeste hasard, Lynch et Eraserhead faussent compagnie à Danse Society et s’invitent à la fête. In heaven everything is fine, susurre la voix chlorhydrique de Janine, et ça te glace toujours autant le sang. En avril, alors que WC3 est en tournée dionysiaque (« Nous prendrons tout ! », aiment-ils à clamer), la jeune femme se concocte un cocktail mortel, précipitant dans sa fin celle du groupe, plus bel espoir du rock français, carbonisé en vol. Trente cinq ans plus tard, The Right Stuff, à mes yeux, c’est toujours eux.

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